Chapitre 28 - Allons danser !

25 5 0
                                    

Non loin de la porte de service de la Mine des Plaisirs, la maison close qui leur servait de refuge à Ferdale, Yennaël ne cessait de faire les cents pas, les mains enfoncées dans les poches de son manteau et la capuche rabattue sur sa chevelure flamboyante trop visible.
Il aurait simplement pu attendre calmement, comme Liam, qui restait adossé contre le mur avec les bras croisés sur la poitrine, mais il en était incapable. Demeurer sans bouger lui paraissait intenable, comme une véritable torture. S'agiter lui apparaissait comme le seul moyen de canaliser son impatience, même si le temps ne s'écoulait pas plus rapidement pour autant.
Cela faisait maintenant plusieurs jours qu'il avait envoyé cette demande d'aide à Richa. Cette dernière ne lui avait donné aucune réponse, que ce soit pour accepter ou pour refuser.
Peut-être avait-elle jugé qu'il ne méritait même pas une réponse de sa part. Cela semblait parfaitement possible d'après la relation complexe qu'il existait entre eux et par le caractère de la jeune fille. Durant leur dernière conversation, elle avait cependant paru tenir à rembourser la dette qu'elle considérait avoir envers lui. Elle aurait donc dû profiter de cette occasion pour la payer. Du moins, c'était ce qu'imaginait Yennaël alors qu'il trépignait.
Peut-être se fourvoyait-il en croyant deviner le ressenti de Richa. Comprendre comment la jeune fille fonctionnait se révélait être un véritable défis.
Depuis des heures, si ce n'était des jours, il naviguait ainsi entre la théorie selon laquelle Richa ne tarderait pas et son opposée qui affirmait que la jeune fille ne viendrait pas, chacune nourrie par des arguments contraires.
Ça n'avait cessé d'empirer, jusqu'à atteindre les limites de l'obsession. C'en devenait effrayant et inquiétant. Du moins, pour l'entourage de Yennaël car ce dernier ne semblait même pas s'apercevoir de ce changement de comportement ni mesurer pleinement l'impact qu'il avait sur tout ce qui l'entourait. Liam, lui, le relevait parfaitement, trop parfaitement.
Appuyé contre les pierres du mur, il rejeta la tête en arrière en soupirant lourdement, se cognant légèrement l'arrière du crâne.
Il n'y avait pas que pour Yennaël que les derniers jours s'étaient mué en torture mais, en ce qui concernait Liam, ce n'était pas à cause de l'impatience mais de l'attitude irritante de son ami. Le jeune homme balafré s'en agaçait fortement et il en était au point de se demander si il devait assommer Yennaël ou bien s'assommer lui-même contre ce mur.
De leur côté, Esadd semblait plutôt s'amuser de cette situation et Alerrin ne se sentait guère concerné par cette histoire. Comme toujours, l'adolescent restait extérieur à ce genre d'affaires mais il observait pourtant attentivement. Seul Liam en était contrarié à en avoir envie de hurler.
D'ailleurs, il ne put se contenir lorsqu'il vit Yennaël stopper dans ces insupportables va-et-vient pour guetter la silhouette de Richa par l'entrée de la venelle.
Les yeux levés au ciel, il soupira à l'adresse de Yennaël en se pinçant l'arrête du nez :

« Te rends-tu compte de ce que tu es en train de faire ?
- Euh...je fais les cents pas ?
- Oui, y a ça aussi et ça me ronge les nerfs mais c'était pas ce que je voulais dire. Je veux parler de...Richa.
- Quoi Richa ? Je l'attends et j'espère qu'elle va nous rejoindre car nous avons besoin d'elle pour cette opération.
- Non, y avait bien d'autres moyens que de faire appel à elle !
- Ça m'a paru être le plus simple. Sa présence facilitera grandement les choses. Pourquoi cela te pose t-il tant problème ?
- C'est pas la question. Je ne parlais pas de ce soir spécifiquement mais de en général.
- Et bien quoi, en général ?
- Cette fille...c'est évident qu'elle te plait. Et depuis le premier jour.
- Elle est belle et très agréable à regarder, c'est un fait, et, quand elle ne cherche pas à m'arracher les yeux ou autre chose, j'avoue que j'apprécie également son esprit.
- C'est bien plus que ça.
- Que veux-tu dire exactement, Liam ? Cette manière dont tu essayes de dire les choses sans le dire me contrarie assez.
- On dirait... Enfin, on pourrait croire que tu es en train de...de tomber amoureux.
- Je t'en prie, ne sois pas ridicule !
- Et le pire et le plus inquiétant, c'est que tu le remarques même pas. Je te met en garde en tant qu'ami. Je te rappelle que c'est toi qui as tenu à ce que je t'avertisse si tu semblais t'attacher affectueusement de la sorte.
- Je m'en souviens très bien, merci.
- Je dois aussi te rappeler pourquoi tu m'as demandé ça ?
- Comme si tu doutais sincèrement que j'ai pu l'oublier.
- Pourtant, à te voir te comporter comme ça dans l'attente d'une femme, j'ai bien un doute.
- Quoi ? Tu veux me l'entendre dire ? Très bien ! Je me refuse à aimer d'amour à nouveau car l'objet de l'amour deviendrait un moyen de pression et une grande faiblesse pour moi. Et jamais, jamais, je n'exposerai quelqu'un d'autre de la sorte ! Il n'est pas question que quelqu'un d'autre à qui je tienne meurt par ma faute ! Elle...c'était suffisant et je ne permettrai pas que ça se reproduise !
- Yennaël, calme-toi, je t'en prie. Je voulais pas que tu t'emportes comme ça. J'étais là aussi et, dans une moindre mesure, je l'ai perdue aussi. Elle ne méritait vraiment pas ça mais c'était pas ta faute.
- Bien sûr que si ! Sans moi, sans mon amour, rien ne lui serait arrivé, tu le sais comme moi !
- On a déjà eu cette conversation tellement de fois en cinq ans... Je voulais seulement t'avertir pour t'enjoindre à la prudence, parce que tu m'avais demandé de le faire, mais si tu sais ce que tu fais, je te fais confiance.
- Je ne crois pas que je puisse affirmer que je sais ce que je fais mais je vais essayer de me montrer raisonnable. Tu as raison, je ne peux pas permettre ce genre de choses.
- Je suis rassuré alors, mais tu sais que t'es pas non plus obligé de rester sans personne dans ta vie.
- Cette conversation là aussi, nous l'avons déjà eue plusieurs fois et je ne vais pas répéter ce que j'ai dit il y a cinq minutes. Et puis, j'ai du monde dans ma vie, je vous ai vous, Esadd, Alerrin et toi, vous êtes ma famille. J'ai aussi mon projet fou et un indésirable qui m'accompagne en permanence. Je sais bien que ce n'est pas en ce sens que tu l'entends mais, en ce qui me concerne, c'est déjà amplement suffisant. En plus, tu as toujours été avec moi, aucune amourette ne pourra remplacer ça. »

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 3 : La Piste du Sang-mêlé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant