Chapitre 24 - Un corps sur le chemin

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Le sort de téléportation n'étant pas moins éprouvant à force d'être répété, Yennaël s'écroula dans l'herbe haute du pâturage où ils venaient d'apparaître. A côté de lui, Richa se sentait seulement légèrement étourdie, comme précédemment.
Le changement restait brutal, passant sans aucune transition du blanc des Monts de glace aux prairies bordées par la mer des Terres Intérieures. Tikka se dressait derrière eux à quelques kilomètres.
La première réaction de la jeune fille fut de se débarrasser de ses lourds vêtements de montagne, qu'elle jeta autour d'elle pour ne garder sur elle que ses sous-vêtements, puis elle s'allongea sous les rayons du soleil, savourant leur chaleur sur sa peau. Elle avait cru mourir de froid sur cette île et elle avait cessé de compter le nombre de fois où Yennaël avait dû la forcer à quitter le bassin d'eau chaude.
Finalement, leur séjour chez les elfes de glace s'était prolongé d'une semaine, Richa s'étant découvert plus affectée par le récit de Lucrezia qu'elle ne l'avait cru sur le moment.
Ces quelques jours avaient permis à Aksi'ëll de se montrer moins agressif et bourru, comme Lucrezia l'avait décrit, et également à Yennaël de prouver qu'il n'avait rien en commun avec la personne avec laquelle on l'avait confondu, dont il n'avait rien dit.
Le terme de bonne entente était certainement trop fort pour qualifier leur relation avec les elfes de glace mais plus personne n'avait fait de chantage ni n'avait attaqué quelqu'un d'autre. Aksi'ëll avait même accepté d'éventuellement rester en contact avec Yennaël dans le cadre de sa lutte contre la Flamme Blanche.
Après ces quelques jours, les deux jeunes gens avaient convenu qu'il était temps pour eux de reprendre leurs activités respectives et de quitter le refuge des elfes glace.
Le plus compliqué durant leur séjour avait été de supporter les températures négatives, pour Richa. Ce qui expliquait pourquoi elle demeurait étendue au soleil partiellement dénudée, pendant que Yennaël se remettait de sa dépense d'énergie. Dans un soupir, il se laissa tomber à côté de la jeune fille, le souffle court.
Son regard se tourna sur le corps de Richa à peine vêtu. Les bains qu'ils avaient partagés chez les elfes de glace, conformément à la tradition, n'avaient pas aidé à banaliser ses réactions face aux formes de la jeune fille, bien au contraire. Sans compter que cette semaine n'avait vu aucune évolution dans leur relation. Ils ne communiquaient que lorsque cela s'avérait absolument nécessaire, sans pourtant demeurer très éloignés l'un de l'autre et, si Richa s'était blotti contre Yennaël à plusieurs reprises, ça avait été uniquement pour se protéger du froid ambiant de la montagne.
L'un comme l'autre ignorait comment se comporter face à l'autre.
Après avoir profité durant plusieurs minutes du temps bien plus clément des Terres Intérieures, Richa se redressa en position assise et annonça :

« Bien, encore une piste qui mène nulle part ! Mais...merci de m'avoir accompagnée. Je t'ai forcé à venir en disant que t'avais une dette envers moi mais, après avoir supporté tout ce bordel pour m'aider, c'est moi qui te dois quelque chose.
- Je saurai vers qui me tourner lorsque j'en aurai besoin alors.
- Génial. Bon, je suppose que tu vas repartir t'occuper de tes magouilles.
- En effet, c'est le plan. Et toi, quels sont tes projets ?
- Pour le moment, je suis à poile dans un champ, je pense que ça résume bien ma situation. J'ai aucun endroit particulier où aller, personne à interroger. Bref, rien de rien, peau de couille ! Donc, en espérant qu'une piste miraculeuse apparaisse, je vais juste aller à la ville la plus proche pour me reposer un peu, récupérer quelques affaires. Cette petite escapade a été assez agitée pour que j'en ai besoin.
- Je suis certain que tu découvriras des renseignements.
- Je sens déjà la réussite d'un coup !
- Surprenant, tes sarcasmes vont me manquer. Ça ira, tu verras, j'en suis persuadé. Et, si jamais tu as besoin...
- Je me débrouillerais. Je te rembourserai ton aide par la mienne mais, en attendant, je ferai sans toi. Etre avec toi...c'est pas bon pour moi. »

Sur cette phrase, digne d'une midinette dans une romance à l'eau de rose qui lui donnait d'ailleurs envie de se gifler, Richa se leva en s'étirant voluptueusement, offrant une vision tortionnaire à Yennaël. Attrapant son sac au passage et ramassant ses affaires, elle se dirigea vers le nord-est et la frontière des Terres de Fer en luttant contre l'envie de lancer un dernier regard à Yennaël.
Après plusieurs pas, elle stoppa pour sortir une tenue de son sac et la revêtir. Un haut vert tendre au col échancré dévoilant ses épaules fines sous un manteau de cuir brun sans manches lacé sur sa poitrine et dont les deux pans tombaient dans son dos, composaient le principal de son habillement, qui se terminait par un pantalon et ses habituelles bottes hautes.
Jugeant que cet équipement aurait toujours pu lui être utile, comme elle ignorait ce que l'Enclave lui réservait encore, elle garda ses vêtements chauds ainsi que la couverture de fourrure, même si ils l'encombraient.
Sans toujours se retourner vers Yennaël, elle reprit son chemin.
Comme elle l'avait expliqué à Yennaël, elle n'avait pas réellement de projet à concrétiser suite à ce voyage chez les elfes de glace, plus aucune piste ni endroit où aller en quérir.
Tout ce qu'elle pouvait envisager pour l'instant était de gagner Ferriöne, deuxième plus grande cité des Terres de Fer après la capitale. Elle souhaitait y récupérer l'un des paquetages qu'elle avait laissés dans les villes qu'elle avait déjà visités, ceux contenant vêtements propres, vivres et argent, ce dont elle allait avoir besoin suite à cette expédition. Tikka aurait été plus proche mais elle avait découvert la cité avec Yennaël il y avait quelques jours et n'y avait donc installé aucune de ces cachettes bien utiles.
Le trajet devrait durer quelques jours, cinq environ, et il lui ferait longer la côte. C'était un chemin paisible qui s'annonçait. Richa avait hâte de progresser le long de la mer.
Plus elle fréquentait l'océan, plus elle se découvrait attirée et proche de lui. Ce n'était pas comme avec le vent ou lorsqu'elle se trouvait au cœur d'un orage, où elle se sentait tout simplement à sa place, comme si elle faisait face à une version plus pure d'elle-même. Avec l'océan, il s'agissait davantage d'une sorte de complémentarité, comme si elle découvrait la seconde face de sa propre pièce. Elle-même ne comprenait pas vraiment et peinait à qualifier ce qu'elle éprouvait précisément mais ce sentiment était là, niché au cœur de sa poitrine alors qu'elle contemplait les vagues calmes.
Son émotion était nettement moins sereine lorsque, le remontant, elle posait son regard sur les Iles Blanches dont elle distinguait la silhouette immaculée à plusieurs kilomètres.
S'arrachant à son observation, alors qu'elle ne s'était pas aperçu qu'elle s'était laissé aller à l'admiration, elle reprit sa route. Après tout, ce n'était pas en fixant la mer qu'elle allait gagner Ferriöne.
Sa progression se faisait entre la fine langue de sable bordant la grève et entre le sous-bois précédent la forêt de Zbagodd. Même si ce n'était sous ceux-là que s'était déroulé la tragédie, les arbres rappelaient à Richa de douloureux souvenirs en évoquant le massacre de la famille qu'elle s'était construite. Elle préférait donc se concentrer sur la mer à sa gauche.

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 3 : La Piste du Sang-mêlé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant