« Richa ?
S'étonna Yennaël en abaissant la main, dans la paume de laquelle il avait fait gonfler une boule de feu, prêt à attaquer, lorsqu'il avait entendu Esadd s'affaisser non loin. Ce n'était probablement pas la meilleure défense au milieu de centaines d'ouvrages mais c'était par réflexe qu'il avait croisé les doigts pour effectuer ce sortilège de flammes.
Cela lui fit étrange de prononcer ce prénom directement devant celle à qui il appartenait alors que, ces dernières semaines, il l'avait formulé sans pouvoir s'adresser à personne, presque dans le vide, mais il en éprouvait également une forte satisfaction.
La jeune fille était la dernière personne qu'il s'attendait à découvrir dans cette bibliothèque mais il devait avouer qu'il en était étrangement heureux.
Ouvrant la bouche, il s'apprêta à dire quelque chose, probablement pour demander à Richa ce qu'elle faisait là, comme c'était la première question qui lui venait à l'esprit, faisant définitivement s'éteindre les derniers effets de sa magie, mais, avant qu'il n'enchaine après avoir manifesté sa stupeur, la douleur explosa dans son visage, de sa mâchoire à la pommette. Il tituba de plusieurs pas en arrière en se rattrapant à l'étagère la plus proche.
Sonné, il porta les doigts à son visage et découvrit qu'un fin filet de sang s'échappait de sa narine.
Sans la lumière émise par les flammes qu'il avait générées, il peinait à véritablement distinguer ce qui l'entourait mais il n'avait pas besoin de voir pour deviner que Richa venait de le saluer avec son poing de toute la force dont elle était capable, à moins qu'elle ne l'ait bridée.
A quoi aurait-il pu s'attendre d'autre après tout ? Ils ne s'étaient pas séparé en très bon terme, Richa et lui, bien au contraire.
D'ailleurs, d'après les menaces qu'elle avait proféré à son encontre la dernière fois, il pouvait se douter que ce n'était qu'un début et qu'elle lui réservait bien pire.
Avançant vers lui, comme il s'était inconsciemment éloigné en titubant, Richa le saisit par le col de sa tunique, le trainant à ses pieds, et elle dressa à nouveau le poing, prête à l'abattre sur lui.
Ne cherchant nullement à l'esquiver, à se débattre et encore moins à se défendre, Yennaël se contenta de détourner le visage sur le côté dans un réflexe, en espérant que la douleur en aurait été amortie, estimant qu'il méritait ce trainement, qu'il se serait volontiers infligé lui-même si il l'avait pu.
Le coup ne vint pas.
Retrouvant ses esprits, Esadd se releva vivement, malgré sa stature musculeuse, traduisant une habitude à réagir promptement, et ceintura Richa de ses larges bras pour la soulever du sol en l'écartant de Yennaël.
Se rappelant de l'endroit où ils se trouvaient et de la possibilité, à éviter, qu'ils avaient de se faire repérer, la jeune fille retint une exclamation de surprise et elle battit des jambes par réflexe à la recherche du sol, sans le rencontrer sous ses semelles.
Son premier réflexe aurait probablement été de se débattre, rejeter le crâne en arrière pour heurter un nez, enfoncer ses coudes dans un abdomen ou une poitrine, selon ce qu'elle aurait rencontré sur le chemin de ses coups, mais, comme l'avait saisie sans aucune violence et même, à la place, avec une certaine douceur, elle hésita à le faire.
Ce qui donna à son adversaire l'occasion de prendre la parole d'une voix éraillée :- S'il vous plaît, attendez qu'on soit ailleurs pour vous taper dessus. On a pas le temps pour ça. Alors regardons ce qui nous intéresse et tirons-nous d'ici. Je déteste cet endroit... Oh, au fait, alors c'est toi, Richa ? Ravi de te rencontrer enfin, depuis le temps que j'entends parler de toi ! Enchanté, je suis Esadd Neymorr.
Reposant la jeune fille à terre en la tournant vers lui, Esadd lui tendit la main en un geste de salutation, ne paraissant nullement lui reprocher le coup de grimoire sur le crâne.
Quelque peu déstabilisée par cette présentation sympathique et pleine de bonhomie alors qu'ils venaient davantage de se comporter comme des adversaires que comme des alliés, Richa le fixa avec un sourcil arqué, circonspecte.
Comme elle l'avait déjà constaté, il était grand et elle devinait sa puissante musculature sous sa chemise ample. Même sans percevoir précisément les couleurs sans lumière, elle distinguait qu'il avait la peau foncée, probablement autant que son regard couleur d'ébène.
Aucun cheveux n'apparaissait sur son crâne parfaitement glabre.
Pour son âge, Richa l'évaluait à une quarantaine d'années, un peu plus ou un peu moins, mais elle peinait à réellement le déterminer avec plus d'exactitude à cause de l'immense brûlure qu'il arborait.
Sur tout le côté gauche de son visage, la chair avait comme fondu avant de se solidifier à nouveau, laissant sur lui une marque irréversible, et la brûlure continuait en descendant sous le col de sa chemise.
Même si elle n'avait aucun moyen de deviner avec une absolue certitude les causes de cette ancienne blessure, comme elle n'allait certainement pas se permettre et se risquer à user de ses pouvoirs psychiques conférées par sa pierre, toujours autour de son cou, Richa se tourna immédiatement vers les hauts vitraux par lesquels continuaient à entrer les lumières des bûchers se consumant à l'extérieur.
Dans un monde où régnait une organisation comme la Flamme Blanche, il semblait logique, affreusement logique, qu'une pareille cicatrice soit le souvenir, les séquelles, d'un bûcher auquel il aurait échappé de justesse, même si Esadd ne présentait aucune caractéristique d'Humcréa qui aurait pu le conduire à une telle condamnation. Cela ne signifiait pas qu'il n'en était pas un pour autant. Il pouvait très bien les camoufler, comme le faisait Richa, ou bien tout simplement être un magicien et donc être dépourvu de tous signes extérieurs, comme Yennaël.
Richa ne se focalisa cependant pas sur cette immense cicatrice de brûlure ni sur la recherche de traits physiques inhumains mais sur le sourire qu'il lui offrait en salutation, large, lumineux, exposant une rangée de dents éclatantes. Il y avait quelque chose de tellement franc, honnête et chaleureux dans ce sourire qu'il contamina immédiatement Richa et elle le lui rendit sincèrement, même si il était fort possible qu'il ne puisse pas le distinguer dans l'obscurité, chassant toutes les violentes émotions que le visage de Yennaël avait réveillé en elle.
Sans hésiter, éprouvant de la sympathie presque instantanément pour cet homme, elle serra la main qu'Esadd lui présentait, échangeant une solide poignée de main avec lui et son sourire s'élargit encore davantage.
Son esprit lui paraissait nettement moins embrouillé car, lorsqu'elle avait découvert Yennaël devant elle, tout s'était mélangé dans ses pensées, plus particulièrement ses sentiments : de la colère, du ressentiment, de la surprise, de l'appréhension, du soulagement, du dénis, de la joie, de l'attirance et encore d'autres choses qu'elle était bien incapable de démêler, mais le sourire d'Esadd l'apaisait en lui faisant oublier tout cela.
Elle s'abstint donc de se tourner vers le jeune homme roux dans son dos.
Se redressant en prenant appui contre la bibliothèque qui l'avait soutenu précédemment, Yennaël essuya les traces de sang maculant encore son visage d'un revers de la manche, puis il recentra l'attention générale sur ce qui les amenait dans cet édifice de la Flamme Blanche :
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Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 3 : La Piste du Sang-mêlé [Terminé]
FantasiAprès plusieurs semaines à errer dans l'Enclave, le chemin de Richa rencontre à nouveau celui de Yennaël. Malgré la rancune tenace qu'elle nourrit à l'égard du magicien, elle se trouve forcée d'accepter son aide dans sa quête. Remontant toutes les...