Chapitre 19

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La Fosse, dix heures du soir, place du quartier.

Devant le grand hôtel où étaient établis les bureaux de la magistrature du quartier, les miliciens – les rares officiels encore opérant à la Fosse – surveillaient les accès, chacun posté sous une arcade.

Ils étaient une quinzaine en tout, s'aidant mutuellement en lançant un sifflement lorsque l'un d'eux commençait à piquer du nez.

La vie était rude pour eux depuis quelques jours, lorsqu'on leur avait annoncé que deux tiers de leurs effectifs seraient réaffectés dans les autres quartiers.

La plupart n'allaient pas s'en plaindre. Après tout, servir à la Fosse était bien la pire des affectations possibles pour un soldat, sauf peut-être pour ceux ayant le goût pour les bagarres avec les bandits, ou les affaires louches trop vites résolues pour que cela semble honnête.

Mais, tout de même, si on retirait l'aspect pratique et que l'on ne gardait que la question de l'amour propre, ces maudits dévots, les fidèles de Kaël, étaient à l'idée de tous de biens intriguants personnages pour avoir réussit à convaincre le Bourgmestre d'utiliser leur milice privée à la place de ses propres hommes.

Quelle manigance, quel arrangement, quelle somme pouvaient bien avoir déclenché un tel renversement de l'ordre établi ?

Certes, chacun, parmi les soldats du quartier, savait que le bourgmestre était un homme capable d'accepter tout arrangement lui permettant de se remplir les poches, mais de l'avis même des plus simples soldats, cette fois-ci, peut-être y était-il allé un peu fort, ne serait-ce que du point de vue de sa propre sécurité.

Comment peut-il être certain que les ordres appliqués par la milice dévote sont bien les siens plutôt que ceux de leur mystérieux grand prêtre ? chuchotait-on parmi les gardes.

La question avait de quoi inquiéter, à n'en point douter.

C'est même probablement pour cela que, depuis deux jours, ces derniers miliciens étaient condamnés à rester en faction nuit et jour devant l'hôtel de quartier.

Comme si le bourgmestre avait fini par s'apercevoir, un peu tard – ou peut-être en réfléchissant accidentellement – qu'à long terme, le contrôle de cette milice pouvait bien finir par lui échapper. Peut-être même pire, de se retourner contre lui.

C'est de cela que discutaient, en ce moment même, le Bourgmestre et son premier conseiller municipal, dans le salon privé du deuxième étage de l'hôtel de quartier.

– Allons Gédéon, cesse-donc de faire les cent pas, tu me donnes le tournis ! pesta le premier conseiller.

– Mais tu ne comprends donc pas, Honoré ? Je suis coincé, fini ! Comme j'ai été stupide de faire confiance à cette intrigante, j'aurais dû deviner que cela me jouerait des tours.

– Enfin ! La grande prêtresse de Kaël ne t'a pas menti, j'ai compté l'argent du dernier versement, tout y est, jusqu'au dernier sou, alors ! Et ne parlons pas de ces petites beautés qu'elle a laissées à notre amusement, ajouta-t-il en lorgnant sur la porte de la salle voisine d'un œil malsain.

– Je sais, je sais, Honoré. Mais regarde un peu ce qu'elle a fait des chefs de bandes, et aussi des derniers renégats qui opéraient dans les rues. Tous assassinés, les autres arrêtés, puis pendus ! Ce n'est pas bon, pas bon du tout ! Elle m'a fait céder avec de l'or et de la chair fraîche, mais je perçois désormais toute la fourberie de son offre. Maintenant que je suis dépossédé de mes forces, regarde un peu ce qu'elle exige de moi ! fit-il en tendant un pli au conseiller.

Le Cœur, la Foi et le Fer 🏆 (Roman)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant