— Vous aimez l'art, Mademoiselle Trees ?
Il me faut une minute pour comprendre que c'est à moi que la dame à la robe rouge encore plus serrée que la mienne s'adresse. Il faut dire que seuls mon patron et mon voisin m'appellent par mon nom de famille, mis à part Cat quand elle s'énerve et Adrien dans un autre contexte. Ce dernier m'a d'ailleurs laissée seule au milieu de ce groupe de femmes qui pour moi se ressemblent toutes, prétextant qu'elles sont les moins antipathiques de cette inauguration. Je n'ai aucun mal à le croire, la plus petite et plus ronde du groupe fait des efforts pour m'inclure dans leurs conversations. Elle semble même attendre une réponse de ma part. Seulement maintenant je me souviens qu'elle m'a effectivement posé une question.
— Oh, euh, oui. Enfin, tout le monde aime l'art. L'art, les goûts, les couleurs, tout est subjectif. Même celui qui prétend ne pas aimer l'art ment, en quelque sorte.
Je me mords la lèvre avant de déblatérer inutilement pendant une heure. La femme qui m'a interrogée sourit, visiblement ravie de ma réponse, alors que la grande mince au décolleté plongeant à côté d'elle lève un sourcil hautain.
— Pouvez-vous être plus claire ?
Je sens ma respiration se couper sous son œil perçant. Depuis le début, elle ne semble qu'attendre le moment où je ferai un faux pas pour me ridiculiser. Charmant. La dame à la robe rouge – il serait peut-être temps que je retienne les prénoms des personnes qui m'entourent – me lance un sourire encourageant. Je secoue le pied, une désagréable sensation de froid me faisant frissonner, avant de prendre une inspiration pour me lancer.
— L'art, c'est très vaste. Évidemment, ici, on parle surtout de peinture et de sculpture. Mais il est omniprésent, il nous entoure. Tout le monde écoute de la musique, on aime tous aller voir des films, on prend des photos, beaucoup aiment danser ou assister à des spectacles...
— Oh, s'il vous plaît, intervient la grande femme en levant les yeux au ciel. Je doute que les jeunes des quartiers peu fréquentables au cœur de Miami soient également affectés par la culture.
Outrée par son raisonnement, toute timidité s'envole et j'expose alors pleinement mon point de vue.
— Je vis en plein cœur de Miami depuis que je suis toute petite. Ma mère travaillait avec ces « jeunes des quartiers peu fréquentables », annoncé-je en mimant les guillemets. Je me doute que chez vous, ils n'ont pas une très bonne réputation, ils sont laissés pour compte, mis de côté. Oui, ils sont différents. Oui, ils ne viendront pas à l'inauguration d'une sublime galerie comme celle-ci parce que l'art « légitime » ne les intéresse pas. Mais vous savez quoi ? Il en va de même pour vous. Vous ne vous intéressez pas le moins du monde aux musiques qu'ils écoutent. Quand j'étais petite, j'assistais à des battles de danse et j'adorais ça parce que c'est une forme d'art différente, vivante, qui vient du cœur. Vous pensez que parce qu'ils n'écoutent pas du Mozart à longueur de temps ils n'écoutent pas de musique ? Ou alors, simplement, vous ne jugez pas ce qu'ils écoutent comme de la musique ? On aime tous une catégorie d'art différente, propre à chacun. Et personne, personne n'est en mesure de juger ce qu'aime un tel ou un tel.
À bout de souffle, je pose une main sur la hanche, pas peu fière de ma tirade. La plupart des femmes autours de nous me regardent avec admiration, la petite dame me sourit de toutes ses dents. Non mais pour qui il se prend, ce coton-tige sur pattes, pour dénigrer des gens de la sorte ?
Je n'ai pas le temps de savourer ma petite victoire, elle me regarde de haut en bas avec du dégoût et du mépris dans les yeux.
— Et donc, ce n'est pas une tâche sur votre robe ? Je suppose que ce n'est qu'une forme d'art que je ne peux pas comprendre ?
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Un lendemain ?
RomanceHailee est une jeune femme qui a tout pour être heureuse : elle vit au sud de Miami, elle a le métier de ses rêves, une meilleure amie formidable... Certains disent qu'il ne lui manque plus que le prince charmant, mais elle n'est pas de cet avis. Ha...