Au creux de Nous

Chapitre 12

Yuna

Des acouphènes, un sifflement strident dans mes oreilles. Je crois même que je ne respire quasiment plus. Le temps s'étire dans mon cocon de bruits. Mon cerveau refuse de se remettre en marche. Un électrochoc branché sur une ligne haute tension ne serait pas aussi efficace. Des morceaux de charbons brûlants embrassent ma gorge avec entrain. Le Piton de la Fournaise a envoyé son magma dans mon gosier. Sympa, mais ça brûle.

Mes pensées se bousculent comme une foule en liesse un jour de soldes. Rien n'a de sens et tout déborde. Quelque chose s'est brisé à l'intérieur. Des fils. Ils retenaient probablement quelque chose trop lourd à porter pour se rompre comme ça. Le poids de mes émotions, sans doute. Je ne sais pas quoi en faire. Je ne sais pas quoi faire. Un pilier retenant les fondations vient de s'écrouler sans un bruit. Et l'écho est assourdissant. Lève-toi, et marche, McKinley.

Comment on fait déjà ? Je ne me souviens plus. Je vais rester un peu à l'intérieur de moi, si ca ne dérange personne. Le confort de se retrouver juste avec soi. Les sons étouffés du monde extérieur me font peur. Non, ce n'est pas tout à fait vrai. Je suis absolument terrifiée. Le bourdonnement s'intensifie, il claque comme une tempête dans ma tête. Hurlant, tapant, déchirant mes oreilles. La douleur, sa pression me couvre mais ne me réchauffe pas. Papa. Et puis plus rien. Le bruit s'est arrêté tout seul, laissant le calme absolu prendre sa place.

- Mary va annuler mes consultations jusqu'à la semaine prochaine. Je ne sais pas combien de temps je serai partie. J'enverrai un mail avec le nom de confrères à qui j'adresserai mes patients avec les dossiers. Je risque de ne pas être dispo pendant un moment. Il faut que je règle deux, trois trucs avant de partir. Je vous tiendrai au courant quand j'en saurai plus. Ah oui, je dois réserver un avion...

Quand je me rend compte que je suis de nouveau dans la salle de réunion et que je débite des paroles à une vitesse proche de l'hystérie, je m'arrête une seconde. Tous les regards sont braqués sur moi. La sensation d'être une biche pris dans des phares au milieu de la nuit me percute avec force. Mais je ne vois aucun visage. Les images vont beaucoup trop vite pour détailler quoi que ce soit.

- Je...

Les voix se mélangent, un brouhaha oppressant. Je ne sais pas qui parle, je m'en fous de qui parle. Je veux qu'on me laisse tranquille.

- Je...

Une présence juste à côté de moi me fait sursauter. C'est flou, terriblement flou. La panique m'écrase d'un coup, je ne veux pas qu'on me touche. J'ai peur. J'ai besoin de me cacher de tout et de tout le monde. Je sursaute et recule, le mur de vitre est froid. Il brûle ma peau parce que je suis gelée.

- Ne me touches pas !

Encore une voix que je n'entends pas. Ils se lèvent tous, je me sens prisonnière de leurs corps. Mon cœur s'emballe sous la terreur, je ne veux pas qu'on me fasse mal. Je veux mon papa. Ils me font peur, et ils veulent me parler me toucher. Je suis complètement affolée quand leurs mains s'avancent vers moi, ils n'ont pas de visage, je ne vois rien. Ils veulent me faire mal, et je suis toute seule. Une boule d'incertitude éclate sur la surface de ma conscience.

- Ne me touchez pas, putain !

Est-ce qu'ils m'écoutent ? Oh mon Dieu, j'ai si peur. Les mains sur mes oreilles, je crois que je crie, mais aucun son ne sort de ma bouche. Paralysée par le vide qui m'aspire, l'effroi me bouffe petit à petit. Je recule encore, les mains toujours sur mes oreilles pour ne pas entendre les monstres qui m'entoure et qui veulent me blesser. Je ne veux pas les voir. Si papa était là, il allumerai la lumière pour me rassurer. Ma respiration se détériore au rythme laborieux de mon cœur. Je vais m'effondrer et ils vont me faire très mal. Un refuge. N'importe quoi. Quelque chose, quelqu'un.