Spécial

le vent

Melody noir- Patrick Watson

D'aussi loin que je me souvienne, ça a toujours été Isaac et moi.

Maman dit que les duos qui sont différents ce sont toujours les meilleurs. Moi, j'aimerais juste être un peu moins différent justement.

Isaac, c'est le fils qu'elle voulait. Calme, intelligent et drôle. Moi je suis l'enfant turbulent, celui qu'on emmène chez le docteur pour essayer de comprendre pourquoi il n'arrive pas à rester en place.

A l'école, je lévite. Une fois il m'a dit qu'il pensait que je le détestais et j'ai pleuré juste après qu'il ait quitté ma chambre. Parce que c'est impossible de détester Isaac et la simple pensée qu'il puisse avoir l'impression que c'est le cas m'a mis les larmes aux yeux.

Bordel.

Lui et moi on est nés à un jour d'écart ,une année de différence. Maman disait que c'était un signe quand on était enfants, que le destin nous avait choisi pour être frères. J'aimais croire ça, que j'ai ma place quelque part, à côté de mon frère aîné.

Mais la réalité c'est que j'aurais préféré ne jamais naître du tout.

- Thomas?

La psychiatre me fixe, inquiète. J'ai encore décroché de son discours mélodramatique visant à me faire comprendre que tout va bien chez moi, que je suis normal.

- Désolé.

Elle sourit. J'aime bien Annie, elle a le plus beau sourire qu'il m'ait été donné de voir. Elle porte toujours des pulls colorés et joue avec son stylo quand je lui parle. C'est maman qui me force à venir ici. Mais j'aime bien cet endroit, il y a des dessins sur les murs et ça sent toujours la vanille. En plus, quand il fait beau, Annie laisse la fenêtre ouverte et je peux admirer la mer au loin.

- On parlait de ton rêve de cette nuit.

Oh, ça. Une chose que je n'aime pas chez Annie c'est son obsession avec mes rêves. Elle pense que mon problème pourrait s'exprimer pendant mon sommeil, dans le fin fond de mes pensées. Moi je pense que si elle trouve une quelconque signification logique à mes rêves farfelues alors c'est peut être elle la folle.

- Je m'en souviens pas.

Menteur.

Quand j'étais petit, j'ai gagné le concours d'orthographe deux années consécutives. Pas parce que je suis un génie de l'écriture comme on pourrait le penser mais parce que j'ai une mémoire assez dingue. Je n'avais qu'à mémoriser les mots et les recracher de façon automatique, comme un robot. Je suis un robot de la mémoire. Maman avait accroché le prix sur le frigidaire. C'était la première fois que je voyais son sourire fière qui n'était pas destiné à Isaac mais bel et bien à moi.

Annie me fixe, perplexe, et moi je fixe la fille sur son balcon .La fenêtre du bureau donne sur une une fenêtre où la même fille vient se relaxer sur la terrasse. Un claquement de doigt me ramène à la réalité.

- Thomas ! Si tu ne veux pas coopérer on se verra à la prochaine séance.

Non.

- Pardon.

Elle sourit. Annie comprend comment je fonctionne. Avec moi, il n'y a que la menace qui marche. J'ai été diagnostiqué TDAH quand j'avais huit ans. Pas étonnant, personne n'était surpris, surtout pas maman. Pour moi, c'était une raison de plus qui prouvait que je n'étais et ne serais jamais Isaac.

- Parle moi de ce rêve.

Elle savait que je mentais.