ce que l'on veut voir

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Teenage Blue - Dreamgirl

Isaac

Des fois, j'oublie de respirer.

C'est étrange, c'est comme si mon cerveau refusait d'envoyer l'information à mon cœur. Maman pense que c'est volontaire, que c'est comme une punition. Mon cerveau fait volontairement peur à mon cœur, juste pour voir si je tiens vraiment à la vie, juste pour voir si je veux rester. Moi, je pense que je suis juste trop dissipé, que des fois j'ai tellement de choses dans la tête que je n'ai pas le temps de m'en remettre, je n'ai pas le temps de respirer , je dois faire une pause dans le silence.

Le silence, sans un souffle. Le vide, le rien.

- BAM!

Mon frère tape sur la table en racontant son anecdote poignante à ma mère. Je le regarde sourire, ses yeux brillent et ses gestes sont grands .

Mon frère est amoureux.

Je ne sais pas de qui ni depuis quand mais il n'y a que l'amour pour nous rendre heureux sans raisons.

Des fois, je crois être amoureux aussi. Même si c'est bête et que ça détruit tout. Quand j'ai vu Zoé, quelque chose s'est passé. Quelque chose d'inattendu s'est passé entre nous. Ce serait plus simple de dire que c'est de l'amour, quelque part. C'est moins simple d'essayer de l'expliquer réellement.

Plus tard, plus loin , je me lève de table et je sors de la maison. C'est une chaude journée et mon short me gratte. Il y a Leo devant la maison qui m'attend sur son vélo. Il sourit en ma direction.

- Salut.

J'allais répondre mais mon frère le fait avant moi.

- Salut.

J'attrape mon vélo et on se dirige tous les trois vers la ville pour rejoindre les autres.

Ça m'arrive de penser que toutes les phrases ont déjà été dites. Qu'il n'existe pas d'autres mots , qu'on ne fait que tourner en rond , rencontrer des gens nouveaux pour leur répéter les mêmes choses encore et encore.

Ça me rend vide donc j'arrête de parler. On n'arrose pas une plante trempée. C'est ce qu'on dit, je crois.

Lorsque l'on arrive sur la petite place qui entoure la statuette de Marx, Zoé arrive au coin de la rue. Elle porte un short large et un débardeur noir qui met en valeur son port de tête. Quand elle s'approche , elle s'attache les cheveux en une queue de cheval et moi je reste bloqué sur son cou, sur sa nuque.

- Hey.

Les garçons répondent et moi je regarde Zoé, encore . Je me dis que ça doit être dingue de savoir qu'on est beau. Elle tourne la tête vers moi en mon absence de réponse et me sourit.

Ce sourire.

On s'assoit sur un muret en pierre. Elle me chuchote à l'oreille « ça va ? » et j'aimerais tant lui dire plus qu'un simple « oui ». J'aimerais tant lui parler de tout ce à quoi je pense, même lorsque ça n'a pas de sens et même lorsqu'elle ne veut pas l'entendre. J'aimerais qu'elle soit plus que cette mystérieuse présence qui me donne envie de vivre.

- Oui. Toi, ça va ?

Elle hoche la tête. Je m'attarde sur  le rehaussement de ses joues. Peut être qu'elle fait semblant d'être confiante, comme moi. J'aime à le penser, ça la rend plus humaine et ça me fait moins peur de l'apprécier. Ses yeux sourient eux aussi. Elle est si belle que ça fait mal de la regarder.

Je me demande ce qui se cache sous tant de beauté , ce qui la tient éveiller la nuit. Ce qui fait d'elle ce qu'elle est. Je me demande si elle a grandi seule ou avec des frères et sœurs. Je me demande si elle a un père ou si sa mère est présente. Je me demande ce qu'elle préfère faire plus que tout, si elle aime autant lire que rire .

- Isaac ?

Je tourne soudainement le visage vers elle alors qu'elle secoue la main devant mes yeux.

- T'avais l'air ailleurs.

"Ailleurs", c'est là où je vais quand je ne sais plus quoi ressentir je suppose.

- Je suis un peu fatigué.

Elle me sourit, son foutu sourire.

Les autres décident d'aller à la crique et je suis simplement le mouvement. Sur le chemin , j'observe les vieilles dames acheter leur poisson sur le marché, les gamins du coin se balancer une balle en plastique sur un coin d'une place publique, une jeune fille balancer une pièce dans une fontaine pas loin. J'observe la vie et j'ai l'impression de ne toujours faire que ça.

Observer.

A la crique, les autres foncent dans l'eau et je reste sur le côté, un peu plus loin sur un rocher. Zoé me fait signe depuis l'eau de les rejoindre mais je ne bouge pas. Je ferme les yeux essayant de sentir l'air sur moi. L'espace d'un instant , j'ai l'impression de faire partie du rocher. De n'être qu'une masse flotante au milieu d'une eau salée. L'espace d'un instant, le son n'est plus organique. Plus rien n'existe: ni moi, ni mon frère , ni Zoé, ni Léo , ni quoi que ce soit qui puisse compter. Les problèmes disparaissent. Ca ne dure que quelques secondes, peut être moins.

Le vide.

Puis le son vient à nouveau et je sens une main qui me secoue. C'est Zoé qui me regarde inquiète, les sourcils fronssés et les lèvres pincées. Tout est si bruyant, si violent, si douloureux.

- Quest-ce qu'il se passe aujourd'hui?

Je ne lui reponds pas de suite, alors elle s'asseoit près de moi sur le rôcher, enroulée dans sa serviette de plage. Son genoux touche le mien et mes yeux se concentrent sur les milliers de frissons qui parcourent sa peau.

- Je me sens étrange.

Elle hoche la tête, elle comprend.

- Pourquoi?

C'est vrai ça , pourquoi?

- Je croyais tout savoir sur tout, mais je ne sais rien en réalité.

Elle m'observe et ça me rend plus nerveux que ce que j'aimerais l'avouer.

- Personne ne sait rien à notre âge.

Je rigole.

-J'ai vingt ans.

Elle sourit.

-Je sais, moi aussi. Il n'empêche qu'on ne connait rien à rien.

Je rigole à nouveau.

- Je croyais que j'étais malîn, que tout était certain. J'avais tout prévu dans ma tête et pourtant rien ne se passe.

Son bras dénudée frôle à présent le mien et mon cerveau s'embrouille seul. C'est dingue comme sensation, comme si tout s'écroulait pour mieux se reconstruire. Je tourne mon visage vers le sien et elle me sourit innocemment.

- La vie serait ennuyeuse si tout était prévu à l'avance, non?

Sa phrase réchauffe mon âme.

- C'est vrai.

Elle attrape ma main, délicatement, comme si elle n'était pas réelle. Comme si je menaçais de me dissiper en un nuage de fumée. Des gouttes d'eau glissent de son corps au mien et ses doigts tracent des cercles . Mon coeur bat si vite que je me retiens de respirer par peur qu'elle ne l'entende . Je me demande si ça va durer, ce sentiment de perte de contrôle totale lorsqu'elle est près de moi.

- Ma vie est bien moins ennuyeuse depuis que tu en fais partie.

Je laisse les mots s'échapper de ma bouche comme une promesse bien réfléchie. Je laisse le silence bruyant des vagues nous frapper de plein fouet. Je laisse les mots s'envoler au dessus de moi, juste pour voir. D'abord, elle ne dit rien. Puis elle serre ma main encore plus fort et pose sa tête sur mon épaule, ses cheveux chatouillants ma nuque.

- Idiot.

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