Les sentiments poudreux

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Heart to Heart - Mac DeMarco

Thomas

- Thomas, vous voulez parler de l'incident ?

La voix d'Annie résonne dans la petite pièce. J'étais si concentré sur la vue depuis sa fenêtre, j'en avais oublié la thérapie.

- Vous me pensez prêt ?

Elle sourit. Annie aime mon sarcasme, ça l'a souvent faite rire. Elle me trouve intelligent, différent. Ce mot qui m'agace tant.

- Peut être, tu m'as l'air heureux ces derniers jours. Tu ne m'as pas appelé une seule fois!

Je souris amèrement. C'est déprimant de se dire que quand ça ne va pas , c'est ma psychiatre que j'appelle. C'est déprimant de savoir qu'à part mon frère, je n'ai pas vraiment d'amis.

- Je fais beaucoup de vélo avec mon frère, ça m'occupe.

Elle sourit.

- Et le violon, tu as repris?

Je fronce les sourcils.

- Non.

- Pas encore prêt ?

Je ne répond pas. A la place je retourne dans ma tête , on y est confortable. Mais Annie claque des doigts et la réalité efface mon rêve.

Comme d'habitude.

- Ne te cache pas.

Je déteste ce qu'elle dit.

- Ce n'est pas le cas.

Je déteste ça. Elle fait semblant de comprendre , comme si elle souffrait avec moi. Mais elle ne sait pas, personne ne sait.

- Tu refuses de t'ouvrir.

- Ce n'est pas vrai.

Stop.

- Alors parle.

Ça surgit comme une alarme, une forme de résistance , un épuisement. Le stress envahit mon organisme. Mais le stress n'est pas si mauvais, quand on y pense . Il s'agit tout simplement d'un phénomène d'adaptation.

S'adapter à la peur .
Ou : comment réaliser l'impossible?

Respire.

Sors de cette tête.

- Vous voulez parler de l'incident ? J'ai voulu mourir, mais ça vous le savez déjà parce que même si on travaille sur ce que vous aimez appeler « la confiance » , ma mère vous a tout raconté . En fait , vous savez déjà tout . Vous savez où , comment et peut être même pourquoi.

Elle ne répond pas tout de suite. À la place, elle me regarde, presque tristement.

Je me rend compte que je transpire , j'essuie mes mains moites sur mon pantalon alors que je lève à nouveau les yeux vers Annie.

- Je suis en colère.

Elle hoche la tête.

- Visiblement, c'est normal.

Rien de tout ça n'a l'air normal.

- J'aurais aimé être différent , j'aurais aimé être n'importe qui d'autre , je le jure. Si ça voulait dire ne plus avoir tout ça dans ma tête, j'échangerais ma place avec n'importe qui.

Elle hoche la tête avant de gribouiller sur son carnet comme elle le fait toujours.

Le silence règne pendant quelques secondes. Puis le tissu de son fauteuil se froisse et je l'entends se racler la gorge.

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