Bags-clairo
Thomas
Au moins quand j'allais mal j'étais quelque chose, j'étais quelqu'un.
Maintenant, il n'y a que le vide qui semble entourer mes pensées. Le vide qui m'écrase, comme lorsqu'on se réveille dans une pièce plongée dans le noir et que la panique nous empêche de respirer. L'instant au réveil lorsqu'on se demande où l'on se trouve. On a alors l'impression que le noir nous encombre. J'ai su que ça n'allait plus quand j'ai ressenti ça même en plein jour, sous le plus beau des ciels.
- Tiens, mange.
J'observe Isaac dévorer son plat à grandes bouchées. Dans mon assiette à moi il y a des haricots verts et du poulet. J'ai l'impression que le poulet me regarde. Ça me rappelle que quand j'étais petit j'étais incapable de manger de la viande, parce qu'on avait une poule chez ma grand mère et que l'idée de la manger me répugnait assez pour ne manger aucuns de ses semblables.
Je souris.
- Un sourire ?
Ma mère m'observe, soucieuse. C'est le même regard depuis l'incident. Le regard qui veut dire « ça va ? Tu es sûr que ça va ? Je ne veux pas que tu meurs! Tu ne te rends pas compte, si tu meurs mon monde s'écroule ». Le genre de regard qui me rend plus triste que n'importe quoi. Mais le truc qu'elle comprend pas ma mère, c'est que même quand elle me regarde comme ça je continue de vouloir disparaître.
Parce que je refuse de vivre, je refuse d'attendre de mourir. Pourquoi attendre, pourquoi vivre toutes ces choses si c'est pour qu'elles se terminent?
Ça allait mieux quand j'ai commencé à traîner plus souvent avec mon frère. Parce que partout où il y a mon frère, il y a Léo et j'aime regarder Leo, il y a quelque chose de fascinant dans sa manière de voir le monde, dans sa façon de réfléchir. Léo n'a jamais aimé personne,il me l'a dit une fois, un soir où il était bourré . Bien sûr il m'aime moi, il aime Isaac , il aime aussi son frère et sa mère certainement. Mais il n'a jamais été amoureux. Il dit que c'est surfait et moi je l'écoute souvent.
Pourtant, il a fait croire à toute l'école qu'il était amoureux de son ex copine, même à Isaac. Moi je savais, il ne l'aimait pas.
Je n'en veux pas moi, de l'amour. Ça n'a apporté que du malheur dans ma maison, partout où j'en ai vu. Maman m'a toujours dit que c'était la plus belle des choses et moi j'ai répondu un jour que si l'amour c'était attendre quelqu'un qui ne reviendrait jamais alors je préférais ne jamais ressentir une telle chose. Maman a pleuré ce jour là , comme d'habitude j'avais tout gâché.
Je me lève de table, débarrasse mon assiette et enfile mes chaussures.
- Tu vas où ?
Lire quelque part.
- Faire du vélo en ville.
-Attends moi, je viens.
Je soupire. Depuis que j'ai essayé de mourir, mon frère ne veut jamais que je sois seul. Les seules fois où j'ai réussi à être seul cette année sont les soirs où j'ai fait semblant d'être malade pour ne pas sortir ou bien quand j'allais chez la psychologue. Je passe toujours par le champ quand j'y vais, c'est agréable, le blé qui caresse mes jambes. Des fois, je m'imagine m'allonger sur la route goudronnée juste à côté et attendre qu'un camion arrive à toute vitesse pour m'écraser. Je ne le fais pas, mais j'y pense.
La mort, le vide, le calme, le répit.
- D'accord.
Je le regarde débarrasser son assiette à son tour et enfiler ses chaussures. Il me sourit et nous sortons de la maison ensemble. On habite dans une banlieue modeste où toutes les maisons se ressemblent sauf la nôtre, la nôtre est jaune. C'est la couleur préférée de mon père. Quand ils se sont installés ici ma mère et lui, ils ont décidé de refaire toute la façade, ils ne voulaient pas que notre maison soit fade, ils voulaient qu'elle soit unique, comme eux.
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Spécial
Teen FictionCe sont des jeunes gens qui s'aiment, qui grandissent et qui font beaucoup de conneries. De douces larmes sur vos visages aux milles couleurs.