Chapitre 17

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Au petit matin, on se partage une potion anti-gueule de bois qui nous remet d'aplomb. Les effets désagréables de l'alcool se dissipent rapidement et pourtant un goût amer me reste en bouche.

J'aurais dû me contenter de sa colère et de son agacement constant. Échanger des confidences à la nuit tombée était une mauvaise idée, ça me rappelle seulement tout ce que l'on n'est pas, et ce que l'on ne sera jamais.

Potter n'a jamais bossé en binôme, c'était dans une de ses biographies non officielles. Il ne sait pas faire. Il ne supporte pas les autres. Je ne devrais même pas le prendre pour moi : c'est un loup solitaire, comme on dit. Sauf que, depuis des semaines, malgré la tension, il me supporte autant que je le supporte. À notre façon. Comme toujours.

La mission aurait pu tourner court. Il aurait pu tout plaquer et rentrer à Londres à la première contrariété et tant pis pour l'enquête, mais contre toute attente, il est resté, moi aussi, et nos efforts mutuels payent.

Je me dis que s'il laisse entrapercevoir des bribes de vulnérabilité, c'est qu'il y a une once de confiance qui se distille entre nous. Du moins, il en faut un minimum quand il me demande de lancer la Memoriae Captiva ou qu'il me laisse drainer des objets de magie ancienne à ses côtés.

En revanche, quand je commence à avoir envie de le rassurer et de le réconforter pour des confidences échangées au fond du jardin, je m'avance sur une pente que je sais glissante.

Aucune raison de laisser grandir ces sentiments que je pensais révolus. Ils ne sont que les fantômes de fantasmes inassouvis. Je suis assez réaliste pour savoir qu'ils n'ont pas vocation à être concrétisés, inutile de remuer les envies du passé.

Potter n'a pas besoin d'un énième admirateur, il a surtout besoin d'un binôme fiable. Et je peux parfaitement endosser ce rôle pour un temps.

L'officier Nigaud nous attend devant la pension. Il tend un café à emporter et un sourire charmeur à Potter que celui-ci ignore.

Il nous guide à travers le souk sorcier, glisse quelques pièces contre des informations. Ça n'a pas l'air si évident de se rapprocher de la Guilde des Voleurs, mais que Potter ait suivi mes conseils me procure un stupide sentiment de satisfaction inégalée.

Dans les ruelles étroites, je me contente de les suivre, mes cheveux trop blancs et ma peau diaphane protégés dans un chèche, non pas pour me plier à la demande de Potter, mais pour me protéger des grains de sable qui s'immiscent partout ici. Pour le reste de mes vêtements, j'ai opté pour des teintes ternes et ocre comme tout ce qui traîne dans cette ville aux portes du désert.

Quand ils s'arrêtent enfin devant une échoppe, je jette un œil à l'étal.

Dans cette caverne d'Ali Baba, les objets mis en avant ne sont que des babioles pour touristes, de la décoration qui ne vaut rien, des amulettes pour sorciers superstitieux... Potter et Nigaud échangent à voix basse pour établir le plan de leur interrogatoire.

À l'intérieur, le type derrière son comptoir s'essuie les mains dans sa robe et grimace.

Je les laisse jouer les officiers braves et redoutables, tandis que, sur un présentoir en retrait, une bague attire mon regard. Elle n'a rien d'une babiole celle-là. Sa pierre, de l'onyx noir, capture des reflets qui semblent se mouvoir dans une spirale hypnotique.

Je retiens Potter par le coude et lui fais un signe vers la chevalière. Il hausse un sourcil et je me contente de hocher la tête.

Je ressers mes doigts sur ma baguette et serre la fiole au fond de ma poche, cette fois elle risque de nous servir.

Potter pose les mêmes questions qu'auparavant, en orientant son interrogatoire sur ces sorciers du désert qui pourraient être intéressés par des objets rares venus d'Angleterre. Le type reste d'abord évasif, puis Potter lui demande de lui approcher la bague en onyx.

Memoriae CaptivaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant