Chapitre 23

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Au bout du troisième jour de marche à travers le désert, la fatigue, physique et morale, commence à se faire ressentir. Les journées, terriblement longues, se suivent et se ressemblent : marcher, manger, dormir, marcher...

La caravane s'étire entre une dizaine de dromadaires, des marchands-nomades et quelques sorciers qui ont monnayé tout comme moi leur escorte vers un village reculé. Notre marche démarre tôt, dès le petit matin, parfois ponctuée de pauses quand le soleil se fait haut et impitoyable, puis elle reprend jusque tard dans la soirée pour profiter d'une relative fraîcheur.

Le patriarche, en tête de file, la peau tannée par le soleil et la barbe blanchie par l'âge, nous guide à un rythme régulier, sans un mot. Il s'arrête parfois pour observer l'étendue désertique, les yeux plissés comme s'il évaluait des choses imperceptibles au commun des mortels, et décide parfois de changer légèrement de cap. C'est lui qui rythme nos avancées et nous impose nos temps d'arrêt. Un autre sorcier protecteur ferme la marche et reste aux aguets d'éventuelles attaques de pirates du désert.

Les tempêtes de sable soudaines sont les premières ennemies à éviter, ensuite ce sont les dragons des sables.

Le patriarche, dès le premier soir, nous a prévenus que les derniers dragons sauvages rôdent encore dans cette contrée. Ils sont le plus souvent inoffensifs, mais il suffit de troubler leur sommeil, enfouis dans le sable, pour qu'ils attaquent alors sans discernement.

C'est le deuxième jour que la caravane a subi son premier affrontement non désiré : les dunes se sont soudain mises à trembler sous nos bottes, le patriarche a crié des directives dans son dialecte rocailleux et chacun des sorciers s'est savamment positionné autour de la caravane. Les sorciers ont frappé le sol de leurs hauts bâtons sculptés - que je pensais de simples bâtons de marche. De larges boucliers runiques se sont déployés autour de nous tandis qu'un long dragon aux écailles ensablées émergeait du sable. Il était assez proche pour que je remarque les pics acérés le long de sa crête et des griffes redoutables. L'immense créature a secoué une tête endormie, l'air dérangé de notre passage, a soufflé fort pour dégager le sable de ses naseaux et s'est redressé sur ses pattes pour nous jauger. Par réflexe, quelques voyageurs ont sorti leurs baguettes dans la panique de l'instant, moi y compris, mais les sorciers des sables ont fait signe de ne pas attaquer, ce serait inutile. Ils se sont contentés de répéter une litanie de sorts en brandissant leurs bâtons, l'un d'eux frappait en rythme sur un gong sourd et, au bout de quelques minutes de flottement, la tension à son comble, le dragon des sables s'est détourné pour aller ramper plus loin dans les dunes et fuir le bruit et les vibrations magiques provoquées à dessein. Les sorciers-nomades sont restés quelques minutes sur le qui-vive afin de s'assurer que la fuite de la bestiole était définitive, puis chacun a retrouvé sa position dans la caravane et le patriarche a repris sa marche lente et pénible.

Les marchands ambulants ne sont pas bavards, chacun préserve son souffle et ses forces au fil de la journée.

Les autres voyageurs de ma trempe avancent aussi en silence, le nez concentré sur leurs pas, renouvelant ces efforts épuisants dans le sable dans lequel nos pieds s'enfoncent constamment. À un moment, l'un d'entre eux a pris l'initiative d'enchanter des ombrelles magiques pour les faire flotter au-dessus de nous et nous apporter un peu d'ombre, mais un des sorciers a rapidement défait le sort d'un geste. Trop dangereux, semble-t-il avertir dans leur langue, des clans de sorciers pirates pourraient nous repérer de loin et lancer une attaque contre la caravane de marchandises...

Le patriarche reste à l'affût, au fil de notre marche, et le reste du trajet se fait sans encombre.

Ce soir-là, les sorciers protecteurs de la caravane invoquent une large bulle qui vibre autour du camp de fortune, ils lancent une ribambelle de sorts, avant d'allumer un petit feu discret pour faire bouillir quelques racines qu'ils distribuent à chacun avec une ration de viande séchée.

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