La sueur roulait sur son front, inlassablement. Otsu n'avait plus de mouchoirs pour s'éponger. Trop sale, trop humide, et pas le temps. Le sortir de sa poche, le remettre. Son avant-bras faisait très bien l'affaire.
Les forges de l'usine Altonen ne s'éteignaient jamais. Il y faisait une chaleur infernale, étouffante, et les ouvriers trimaient huit heures dans la fournaise, sans s'arrêter. Ils arrivaient propres, frais et reposés, mais très rapidement, la sueur recouvrait leur corps, la suie collait leur peau, leurs poumons s'emplissaient de fumée qui les faisait toucher et cracher. Et les porteurs d'eau sillonnaient l'atelier de long en large, un lourd tonneau attaché dans leur dos, muni d'un robinet auquel ils approchaient les gobelets des travailleurs pour les remplir d'une eau tiède parfumée à la menthe et à la lavande.
Il n'y avait pas de pause pour les porteurs, pas de roulement dans la journée. Une équipe de jour, une équipe de nuit, et c'était tout.
Otsu ne pouvait travailler nulle part ailleurs. Ses laissez-passer et ses faux papiers ne lui octroyaient aucune compétence pour rejoindre une équipe d'ouvriers ou d'ingénieur, pas plus qu'elle pouvait espérer un emploi de bureau. Dans les forges par contre, elle s'était trouvé une place sans difficulté. Les porteurs d'eau ne faisaient jamais long feu, et personne ne leur prêtait d'attention. C'était néanmoins une chance qu'on l'ait accepté, avec sa patte boiteuse. Pour passer plus inaperçue, la brune s'était débarrassé de sa canne avant d'entrer dans la cité industrielle - elle s'en retrouverait bien une plus tard - mais sa démarche claudicante n'était pas simple à dissimuler.
Otsu travaillait au premier niveau de la forge, là où les ouvriers recevaient l'acier à recycler. Une fois trié, et nettoyé, ils le faisaient fondre et couler vers un autre atelier, où le métal retrouverait une forme de lame. Aucune interruption dans ce travail, les demandes étaient trop importantes.
Depuis trois jours, la prostituée faisait exactement ce qui lui était demandé. Et le soir, elle regagnait le dortoir où, patiemment, elle attendait que les autres porteurs s'endorment, tout en luttant elle même contre le sommeil. Puis elle ressortait, parcourait les couloirs qui lui étaient accessibles, invisible et à l'affût. A défaut de voir du pays, Otsu entendait beaucoup de choses. Le récent décès du patriarche Altonen était dans toutes les bouches. L'homme, presque aussi vieux que les Murs – presque – avait succombé à une énième attaque cinq jours avant son arrivée dans la cité industrielle, et une semaine plus tard, les employés en parlaient toujours. De l'enterrement qui aurait lieu dans la capitale, de la cérémonie improvisée qui avait eu le soir même, dans l'usine, où tous les employés s'étaient arrêtés de travailler pour rendre hommage au grand patron. Du moins, tous ceux qui pouvaient se le permettre.
Depuis, paraitrait-il que son fils, nouveau grand patron à la tête des usines Altonen, prenait son travail très au sérieux et passait presque tout son temps dans son bureau, au sommet de l'entreprise. Sauf qu'évidement, Otsu ne l'avait pas encore rencontré, ni même vu, ni même aperçu. Rien d'étonnant à ça. Un homme comme lui, bardé de responsabilités, n'irait certainement pas se salir dans les forges, où trimaient les ouvriers.
Mais puisqu'il ne viendrait pas à elle, c'était elle qui viendrait à lui.
Alors, au bout de trois jours, Otsu décida qu'il était temps de passer à l'action.
Le soir venu, la brune, fourbue, se pinça la peau et se tira les cheveux pour s'empêcher de dormir. Elle attendit, de très longues minutes, que le dortoir s'emplisse des ronflements et des respirations paisibles de ses collègues chanceux puis, sur la pointe de ses pieds nus, gagna le couloir et, plus loin, plus haut, le hall de l'usine d'où partait un large escalier tapissé de blanc, et un ascenseur dont les portes étaient perpétuellement fermées, et gardées. L'ascenseur privé d'Altonen. La prostituée l'avait remarqué dès son arrivée, et la femme qui l'avait emmené dans ses nouveaux quartiers lui avait vaguement expliqué qu'il s'arrêtait à tous les niveaux de l'usine, mais que seul le patron pouvait l'emprunter. Un tel luxe n'était pas pour les employés, évidemment. Encore moins pour les ouvriers et les catins qui se faisaient passer pour des porteuses d'eau.
![](https://img.wattpad.com/cover/271631645-288-k286714.jpg)
VOUS LISEZ
Bienvenue à l'Oeillet
AdventureA la frontière entre Rose et Sina, les riches s'amusent parfois au dépend des lois. Et pour les avertis, L'Oeillet est bien plus qu'un salon de thé. C'est un lieu de libertés, d'effluves d'alcool, de rires, de chants et de danses. Depuis son départ...