Au début, Otsu crut qu'elle allait s'évanouir. Comme si elle pouvait se le permettre. La bouche acide, la prostituée s'essuya le menton en crachotant. Peut-être, si elle faisait vite, profitant de cet état proche du sommeil dans lequel l'obscurité les plongeait... Non, c'était peine perdue... Ou alors.. Si, peut-être ? Mais le monstre était intouchable, adossé comme il l'était au mur de pierre, sa nuque inaccessible. Ses yeux, eux, restaient fixés sur ce petit morceau de chaire qu'on lui avait offert.
Otsu recula le plus loin possible, la main solidement cramponnée à son poignard de bambou d'acier. Les spectateurs nichaient à une dizaine de mètres de la fosse, ce qui signifiait forcément que le monstre ne pouvait les atteindre à cette hauteur, ni en levant les bras, ni en sautant s'il en était capable. Et de ce qu'Otsu en voyait, le titan n'était pas immense. Même si sa position allongée pouvait fausser sa perception, le monstre appartenait clairement au rang des petits gabarits. Plus de trois mètres, c'était certain, mais moins de cinq.
Mais y-avait-il, dans toute l'histoire de l'humanité, une preuve que l'on pouvait triompher de ces horreurs, sans équipement tridimensionnel, et seul ? Car seule, Otsu devait bien admettre qu'elle l'était. Elle n'avait eu aucune nouvelle des deux soldats qui avaient acceptés de se plier à son plan. Plan qui avait lamentablement échoué. Pas étonnant que Hansi et Livaï aient disparus, ils avaient d'autres choses à faire que d'observer son séjour dans la belle demeure campagnarde de bourgeois à la con. Infiltrer les plus hautes strates de la noblesse pour mieux dénoncer le terrible trafic humain auxquels certains se livraient, c'était bien altruiste de sa part, mais c'était surtout complètement stupide. Elle qui espérait ainsi en apprendre plus sur le sort de la pauvre Yumi...
Yumi... Oiran... Est-ce qu'elles aussi, elles avaient finis ainsi, jetées en pâture à un titan, au sein même des murs, pour l'amusement des plus opulents ?
Non Otsu, ce n'est pas encore fini...
Elle allait se battre.
Serrant encore plus sa prise sur l'arme, Otsu se plaqua contre le mur. Là bas, le titan commençait à bouger, très lentement. Alors la prostituée ne réfléchit pas plus longtemps et, d'un bond assuré, courût vers le monstre qui décollait à peine sa tête du mur de sa prison. Ses yeux ne la quittaient pas malgré sa vivacité. Mais Otsu non plus ne le lâchait pas. Et le titan restait amorphe. Elle pouvait lui sauter dessus, s'appuyer sur son abdomen distendu et atteindre sa nuque. Elle pouvait le faire, tant qu'il n'avait pas encore totalement émergé.
Otsu accéléra, leva son arme, choisit un point dans le sol, prête à bondir au bon moment, se prépara à bander ses muscles, quand elle aperçut le bras du monstre tressaillir. Aussitôt l'ancienne soldate se laissa tomber dans une glissade et roula sur le côté, tout juste hors de portée de la main du monstre qui se referma dans le vide. Elle se remit aussitôt debout et fonça vers l'extrémité du terrain, le souffle coupé par la panique. Mais le titan ne la suivait pas. Il avait eu assez d'énergie pour essayer de l'attraper, mais n'était pas encore capable de se mettre debout. Otsu avait été trop confiante... Comme si elle était capable d'affronter un vrai titan, alors que les seuls qu'elle avait jamais pourfendu étaient de bois et de cartons !
Les mains sur les genoux, Otsu reprenait son souffle sans baisser sa garde pour autant. L'attaque frontale ne serait pas efficace, surtout sans équipement, elle allait devoir se débrouiller autrement. Peu à peu, le titan s'éveillait. La prostituée dardait sur lui ses yeux grands ouverts, le cœur battant si fort que même les spectateurs devaient l'entendre. Elle essuya son front couvert de sueur en tremblant. Quand le monstre se leva enfin, Otsu déglutit difficilement, sentant une masse trop lourde s'écraser dans son estomac. Il n'était pas immense, la brune avait vu juste. Moins de cinq mètres, très clairement. Mais toujours plus de trois. Plutôt maigre si ce n'était ce ventre rond, protubérant. De grands yeux gris, de longs cheveux blonds qui lui arrivaient sous les épaules, un sourire béant, révélant des dents qui devaient faire la taille de son pouce, blanches, éclatantes, carrées, prêtes à écraser tous les membres qu'elles pourraient attraper. Il avait de longs membres fins battants sur ses flancs, et Otsu eut un instant à l'esprit l'image d'une monstrueuse araignée, perchée sur de longues pattes, traînant derrière elle son abdomen proéminent. Aucune araignée ne serait aussi dangereuse que la pâle imitation d'être humain qui s'approchait d'elle à pas affamés. Sa démarche lui évoqua celle d'un bambin qui veut saisir son hochet, et Otsu se voyait sans mal faire office de jouet pour le monstre.
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Bienvenue à l'Oeillet
AdventureA la frontière entre Rose et Sina, les riches s'amusent parfois au dépend des lois. Et pour les avertis, L'Oeillet est bien plus qu'un salon de thé. C'est un lieu de libertés, d'effluves d'alcool, de rires, de chants et de danses. Depuis son départ...