CHAPITRE XXXII : PROCÈS IMPROVISÉ

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Les lanternes suspendues ainsi que celles que transportaient les Saulois et les Sauloises éclairaient la place d'une douce lumière ocre. La présence du feu de joie, qui continuait de crépiter, surprit la population quand elle découvrit les bâtiments endommagés. Très vite, un brouhaha submergea les lieux, chaque habitant partageant ses commentaires et ses inquiétudes.

La reine se tenait fièrement sur la scène, les vêtements poussiéreux, sa coiffure à moitié défaite et l'un de ses bas filé. À ses côtés, on pouvait apercevoir son lanidrac, toujours aussi élégant malgré sa cape et son ensemble tachés, ainsi que son secrétaire. Jusque-là rien de surprenant. On pouvait également noter la présence du juge Meirgin, droit comme un piquet. Son front plissé, ses sourcils froncés et ses lèvres pincées témoignaient d'une nervosité qui n'échappa guère à l'œil avisé de certains citadins. Étant donné que la ville s'avérait hors de danger, comment expliquer ce visage tordu par l'anxiété ?

Près d'Oisan, une grande femme se dandinait sur place, visiblement mal à l'aise. Nul besoin d'être un expert en comportement humain pour constater qu'elle souhaitait se trouver ailleurs. Chaque Saulois et Sauloise se mit d'accord sur sa nature, car, bien qu'elle portât une tenue extrêmement simple, elle était enveloppée de la cape caractéristique des magiciens. Son visage peu ridé contrastait avec sa longue chevelure blanche ; elle devait être plus âgée qu'elle en avait l'air, parce que — tout le monde le savait — ces virtuoses du mana vieillissaient bien plus lentement que le commun des mortels.

Le maire et l'édivre demeuraient, quant à eux, en retrait.

Mais ce qui surprenait le plus les citadins était incontestablement la présence de Maho Branne, accompagné de son épouse. Cet homme avait été au centre de tous les ragots, ces dernières semaines. Chacun y était allé de son commentaire sur sa supposée culpabilité ou son éventuelle innocence. Le fait qu'il fût censé être mort se révélait le plus étonnant. D'abord, il était apparu, d'on ne sait où, lors du concours de cuisine, puis il s'était de nouveau fait arrêter et le voilà qui se tenait au côté de la reine ! C'était à n'y rien comprendre !

À peine cette dernière prit-elle la parole, sous l'effet d'un sort qui augmentait sa voix, que le silence s'installa.

— Mes chers sujets, ce festival aurait dû être un moment de joie, et de détente pour tous, mais l'attaque de ce géant a quelque peu gâché la fête. Je ne le vous cache pas : le neutraliser nous a donné du fil à retordre. Il suffit d'observer autour de vous, pour vous en rendre compte. Fort heureusement, nous n'avons déploré aucune victime. Et nous devons, en partie, cette prouesse à cet homme, approchez monsieur Branne, dont la créativité et le talent nous ont permis de nous sortir de ce mauvais pas. De ce fait, j'annonce que ce héros bénéficiera de la grâce royale !

Cadine et Maho portèrent leur main à leur bouche, saisis par l'émotion, puis se prirent dans les bras en pleurant et en riant. Ce tableau touchant provoqua son petit effet sur la foule qui applaudit.

— Non !

Le cri du juge suspendit cet instant d'allégresse et laissa place à un silence imprégné de malaise. Quand il réalisa que tous les regards s'étaient tournés en sa direction, il s'en trouva quelques secondes décontenancé, mais se ressaisit rapidement, avant de poursuivre :

— Majesté, loin de moi l'idée de contredire votre décision, mais le crime de cet individu s'avère bien trop grave pour qu'une grâce royale lui soit accordée. Bien que votre douceur n'égale que votre bienveillance, je tiens à vous souligner que cet homme a tué l'un de vos sujets. Je suis prêt à atténuer la peine, au vu du service rendu, à de la prison à perpétuité.

Une rumeur s'éleva parmi le public. Ce juge n'avait pas tort ; est-ce qu'avoir contribué à avoir sauvé la ville suffisait pour gracier un meurtrier ?

Le RagoûtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant