INTERLUDE III

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 — Quel magnifique spécimen ! murmura Léanan Meirgin tandis qu'il réglait les lentilles de sa longue-vue

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— Quel magnifique spécimen ! murmura Léanan Meirgin tandis qu'il réglait les lentilles de sa longue-vue.

Cette huppe fasciée avec sa crête orangée à pointes noires se révélait fascinante. C'était une excellente idée de fixer ce petit abri sur le tronc du cerisier. Les lèvres du juge s'étirèrent de satisfaction. L'oiseau avait saisi avec son long bec fin une chenille qui se débattait inutilement. Il devait absolument penser à demander à sa bonne, Martha, de préparer des boules de graines et de graisse pour cet hiver. Il avait conscience que l'été commençait à peine et qu'il avait bien le temps d'y réfléchir, mais il éprouvait un intense plaisir à le faire quand même. Il sursauta quand on frappa à la porte.

La voix de la domestique retentit :

— Quelqu'un vous réclame, mon bon monsieur !

— « Votre Honneur », Martha ! Combien de fois dois-je vous répéter de m'appeler « Votre Honneur » ?

— Toutes mes excuses, mon bon monsi... euh... je veux dire Votre Honneur, mais c'est compliquer à mon âge !

— Cela fait tout de même vingt-trois ans que je l'exige, soupira Léanan.

Martha le servait depuis sa plus tendre enfance et, bien que l'envie le titillât de temps en temps, il n'avait pas le cœur de la jeter dehors. Sa générosité le perdrait.

— Qui me demande ?

— Il a dit qu'il était capitaine, je crois. Le capitaine Vandoli ou Vandali, je sais plus.

Le juge replia sa longue-vue. Vandoni ? Cet imbécile arrivait en avance. Il détestait les gens qui débarquaient en avance, peut-être encore plus que les éternels retardataires.

— Qu'il monte.

Le capitaine Vandoni, un robuste gaillard moustachu d'une trentaine d'années, entra timidement dans la pièce et effectua un salut militaire. Le magistrat oublia son agacement et se grandit de fierté.

— Pardonnez mon audace, Votre Honneur, de vous importuner sitôt, mais je pense posséder des informations qui pourraient vous intéresser.

Léanan se saisit de la liasse de documents que lui tendit le chevalier et s'installa à son bureau afin de les étudier confortablement. Il écarquilla les yeux quand il en comprit le contenu puis il éclata de rire.

— Je ne me serais jamais douté que le notaire Frang Gutraidh se révélait un tel filou ! Je suppose que son épouse n'a aucune idée de ses activités extraconjugales...

— Pas la moindre, Votre Honneur.

— Excellent travail capitaine ! Nous possédons enfin le moyen de pression qui nous manquait pour mener à bien notre projet !

À ces mots, il tapota une pile de feuilles sur lesquelles on pouvait lire Le Saule Chuchotant.

— Pardonnez mon audace, Votre Honneur, mais ne craignez-vous pas que la reine...

— Taratata, mon cher capitaine. Je ne vois pas comment cette créature délicate pourrait se douter de quelque chose.

— Je ne saisis pas pourquoi vous souhaitez mettre en place ce projet derrière son dos.

— Sa Majesté est une idéaliste qui considère notre beau pays comme un grand champ de roses, elle ne comprendrait pas la portée d'une telle entreprise. De plus, elle est maintenant une jeune mère ; elle a très certainement d'autres préoccupations que la sécurité du royaume.

Le juge se dirigea vers un coffre duquel il sortit une bourse qu'il tendit au capitaine.

— Tenez mon brave, vous avez effectué un excellent travail. Quand aura lieu votre prochaine permission ?

— Euh... dans une semaine, votre honneur.

— Parfait ! Vous emmènerez votre femme à Marbéliard et vous vous rendrez chez ce tailleur (il lui donna une petite carte) lui commander une belle robe. Vous expliquerez que vous venez de ma part, il ne pourra rien vous refuser. Bien entendu, vous lui demanderez de m'envoyer la facture.

— Mais votre honneur ! C'est trop !

— Pas de ça entre nous, capitaine ! Et n'oubliez pas : tout ce que nous faisons, nous le faisons au nom de la justice !

— Je n'en ai jamais douté, votre honneur.

Après un nouveau salut militaire, le chevalier se retira.

Excellent. Tout se déroulait à merveille. Pour commencer, le meurtre de ce fermier était tombé à point nommé avec un coupable parfait, servi sur un plateau. Que ce Maho Branne se révéla innocent ou pas importait peu : cette affaire devait être expédiée le plus rapidement possible. Et comme ce stupide cuisinier avait eu la remarquable idée de mourir dans sa cellule, il n'avait même pas eu besoin de payer un bourreau. En tout cas, il ignorait qui avait commis ce crime, mais il lui devait une fière chandelle. À présent, il n'avait plus qu'à régler cet épineux problème d'héritage.

Le magistrat se dirigea vers l'immense portrait d'un militaire qui prenait la pose, l'épée à la main. C'était indéniable : son père inspirait un profond respect. Ce haut gradé avait perdu la vie lors de la guerre Asmuquoisne. Léanan n'était âgé que de huit ans à l'époque, mais avait conservé pour lui une intense admiration. Il avait tenté d'intégrer la section militaire d'Edenfort, mais avait malheureusement échoué aux épreuves physiques, ce qui l'avait poussé à se rabattre sur des études de droit. Mais désormais, ses ambitions régies par son idéal d'ordre et de justice prenaient enfin forme.

Il sifflota La Marche de Smirdagardr et attrapa sa longue-vue. La huppe fasciée se trouvait-elle toujours sur sa branche ?

— Une lettre pour vous !

Le juge bondit.

— Martha ! J'ai failli me crever un œil à cause de vous !

— Mais elle porte le sceau royal !

— Le sceau royal ? Donnez-moi ça immédiatement !

Il décacheta le document en tremblant. Peut-être avait-il sous-estimé cette bécasse de Darina. Mais quand il lut le contenu, il rit de bonheur.

— Oh ma chère Martha ! La reine me fait un si grand honneur !

— Je suis tellement contente pour vous, mon bon monsieur !

La saveur de cette joie intense l'occupait trop pour qu'il daigne la reprendre.

Le RagoûtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant