Chapitre 5. 3/3

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— C'est quand même très important ! Il y a beaucoup d'enfants ici !

    — Oui c'est vrai qu'on aurait pu avoir notre mot à dire quand même...

    — On n'a plus le choix de rien de toute façon aujourd'hui ! On ne sait même rien d'eux.

    — De quoi est-ce que vous parlez ?

    J'avais interrompu le fil de leur conversation mais le sujet semblait sérieux. Ce n'était peut-être pas le moment de demander à ma mère où est-ce que je pouvais trouver de jolies étoiles...

    — Des nouveaux voisins. Me répondit gravement cette dernière.

    — Des nouveaux voisins... c'est-à-dire ?

    Je ne comprenais pas vraiment comment l'arrivée de nouvelles personnes pouvait être un sujet nécessitant un ton aussi grave. Ma mère se mis à parler plus doucement, comme si elle craignait d'être entendue. Paul se pencha plus près pour écouter la confidence ;

    — Quelques maisons plus loin, au 134, un couple vient de s'installer avec leurs deux enfants.

    Je la regardais, interdite, sans comprendre les enjeux de cette messe basse.

    — Et.... C'est quelque chose de grave ? Est-ce qu'ils ont fait quelque chose de mal ? Qui sont ces gens ? S'ils ne connaissent personne il faudrait sans doute aller les saluer.

    — Ah non hein ! Paul se redit. On ne sait pas qui sont ces gens ni pourquoi ils viennent de s'installer ici, alors pas question d'être trop courtois. On aime pas beaucoup les curieux ici.

    Le sérieux de Paul était ridicule et tout à fait déplacé. Je ne comprenais pas son animosité ni ce que ces gens avaient bien pu lui faire pour qu'il réagisse ainsi. Mais l'affaire semblait sérieuse. Paul la prenait avec toute la gravité dont il était capable, mesurant chacun de ses gestes, sous l'approbation non verbale de ma mère.

    — Est-ce qu'il y a une raison ?

    Paul me dévisagea, comme si je venais de l'injurier. Je ne comprenais toujours pas le problème et ces non-dits commençaient à m'agacer. Que se passait-il à la fin ?

    — Il y a de plus en plus d'étrangers dans les villes alentours. Et le taux de délinquance n'a jamais été aussi élevé. Ces gens ne viennent de nulle part et s'installent dans nos quartiers pour y mettre le bazar. Mais ça ne va pas se passer comme ça. Ici c'est un petit quartier où personne ne cherche les ennuis. On va pas non plus se mettre à verrouiller les portes et poser des alarmes ? Si ? C'est ça la vie que tu veux mener toi ? Une vie de crainte et de suspicion ?

    — C'est ça le problème ?

    Les éléments se remettaient en place dans ma tête, et commençais à détester le discours de Paul, tout autant que les acquiescements de ma mère.

    — Ils ne viennent pas d'Amérique comme nous alors ils sont un problème ?

    — Mais non enfin... Je ne dis pas que les gens qui ne sont pas Américains sont un problème mais enfin... il n'y a pas de fumée sans feu ! Rho et puis ne fais pas semblant de ne pas comprendre avec tes grands airs !

    — Paul... Réprima ma mère, alors que je tombais de stupéfaction. Et puis, il ne viennent pas de si loin. Après tout, la Barbade est en Amérique du Nord.

    — De loin ou non ce n'est pas le problème. Tout ce que je dis, c'est qu'il est tout de même étrange de voir arriver une famille avec deux enfants alors que l'année scolaire a déjà démarrée et qu'ils ne sont même pas venu se présenter !

    — S'ils avaient été blanc tu n'aurai jamais osé dire ça.

    Paul et ma mère me dévisagèrent. Il était visiblement plus simple pour eux d'insinuer les choses sans avoir à les confronter aux mots qu'ils signifient. Je n'avais jamais porté Paul très haut dans mon coeur, mais plus le temps passait et plus mon estime pour lui s'amenuisait.

    — N'importe quoi... je n'ai pas non plus dit ça. Tu exagères toujours tout.

    Je quittais la table. Cette conversation était surréaliste et pleine de non-sens.

    Je multipliais les allées et venues de la fenêtre à la porte de ma chambre, le téléphone collé à l'oreille et les ongles meurtris par les claquements de mes dents. Les ronger ne faisait pas parti de mes habitudes mais la colère avait emportée mes usages. Joseph ne répondait pas. Nous ne nous étions pas parlé de la journée et voilà qu'il ne déniait pas décrocher. A la troisième tentative, je fulminais et jetais le téléphone sur le lit. Tant pis pour lui.

    J'attrapais une veste chaude, emportant avec moi, l'exemplaire de Crime et châtiment. Je n'avais pas eu besoin de relire l'adresse, je la connaissais déjà par coeur. Je me ruais vers l'armoire avant de changer d'avis, étudiait longuement la laine jaune qui dépassait des autres vêtements, l'attrapais sans ménagement et prenais le large.

    La nuit avait poursuivit sa conquête et engloutie une grande partie de l'espace. Seuls subsistaient, quelques irréductibles lampadaires, qui donnaient un sens au bout de trottoir que je longeais. Une lune timide faisait quelques brèves apparitions entre deux nuages et le vent devenait de plus en plus frais à mesure que les jours passaient. Evoluant vers ma destination finale, je mesurait la faible distance qui nous séparait réellement. La prise de conscience fut vertigineuse. Toutes ces années, je n'avais vécu qu'à quelques maisons de celle de Cassandra, sans jamais la croiser. Sans jamais du moins remarquer sa présence. Comment était-ce possible ?

    Six jardins à droite, et deux rues derrière la mienne avaient composés depuis toutes ces années, un univers entier basé sur plusieurs temporalités dans lesquelles nous ne nous étions jamais croisées. Je commençais alors à imaginer des souvenirs de fausses rencontres, où nos regards se seraient croisés. Où Cassandra promenait un chien qui n'existait sans doute pas, en passant devant ma maison. Où elle avait grandit et joué à chat dans la rue en été, parfois même avec moi.

    Tous ces souvenirs n'étaient qu'affabulation et ne faisaient que me rappeler à une réalité bien plus proche. Chaque pas me rapprochait un peu plus d'elle et de cette maison, qui n'était qu'à quelques chiffres comptés sur les doigts d'une main de la mienne. Tout comme le pull en laine, la maison était jaune moutarde. Comme si Cassandra n'avait pas été une personne mais une couleur. La couleur de la chaleur, de la lumière, mais aussi celle, terrible, de la trahison et du désamour. Cette couleur à double tranchant était sublime mais fourbe. N'était-ce pas ce que j'avais ressenti en la voyant pour la première fois ?

    Je tentais une dernière fois de croiser une étoile dans le ciel avant de me décider à faire un pas de plus, mais rien ne transcendait la nuit. Il était encore trop tôt, mais je savais qu'elles étaient là, bercées bien au dessus des nuages. La maison jaune venait d'émettre un bruit sourd. Surprise, je m'approchais pour en comprendre l'origine. Quelqu'un criait dans la maison. Inquiète, je restais alerte à d'autres bruits. Je captais alors quelques bribes d'une altercation incandescente. Il aurait sans doute fallu partir mais je restais plantée là à attendre sans en connaitre la raison. Qu'attendais-je au juste ? La possible venue d'un nouveau personnage qui mettrait fin à cette dispute et demanderait à Cassandra si tout allait bien ? Ce ne serait pas moi. Je n'avais pas encore ce courage, seulement une curiosité qui mangeait dangereusement le creux de mes joues. Je brûlais d'envie de savoir ce qui se passait. Quel débat houleux pouvait bien animer cette fille en ce moment ? Comment était-elle lorsqu'elle était en colère ? Comment était son visage ? Est-ce que ses yeux bleus devenaient durs ou conservaient-ils leur insolence naturelle ? Et si je partais, là tout de suite, et que je n'entendais plus leur lutte, cesserait-elle d'être au même moment que leur écho ? Alors j'attendais encore, sans doute que le conflit cesse. Mais il ne cessait pas. Ma présence devenait déplacée et le pull jaune pourrait attendre encore un peu.

    Je reviendrais, je m'en faisais la promesse.

*FR* Les étoiles de CassandraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant