Chapitre 6. 2/3

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L'amphithéâtre était plein à craquer, ce qui ravivait le peu d'espoirs que je portais sur la capacité de certains étudiants à user encore un peu de leurs facultés intellectuelles. Ce séminaire était proposé pour un semestre seulement, par un enseignant grec - pour palier à l'ironie - dont le nom était gravé à la craie sur le tableau noir.

    — Bien. Bonjours à tous, je suis Ramza Nikolaidis, enseignant à l'Université Aristote de Thessaloniki et docteur en philosophie.

    Il m'impressionnait déjà. Je choisissais rapidement un siège et me fit aussi petite que possible, face à l'immense prestance de cet homme.

    Monsieur Nikolaidis n'était ni particulièrement grand, ni remarquablement beau, mais il disposait de traits fluides et d'un timbre clair qui lui donnait une noblesse naturelle. J'admirai au loin la droiture géométrique de son nez et les losanges qui composaient ses joues. Il était une sorte d'énigme à déchiffrer, mais certainement pas pour moi, qui diabolisais toute formule mathématique.

    — Certains d'entre vous ont peut être déjà entendu parler de Michel Foucault. Philosophe français majeur du vingtième siècle. Foucault disait que nous nous construisons toujours en fonction d'un autre, qui est lui-même en construction par rapport à soi. Pour beaucoup cela représente sans doute un joli charabia bien formulé ! Mais plus sérieusement, Michel Foucault est un philosophe contemporain, l'un de ceux qui met en valeur le rapport de domination et de pouvoir dans la société, en nous montrant que nos relations sont faites de violence, de pouvoir et de contre pouvoir entre des individus qui dirigent et d'autres qui sont dirigés. Il étudie tout au long de sa carrière, les prisons, la folie, l'enfermement, des thèmes bien sympathique donc pour se changer les idées, l'épistémologue des sciences humaines. Est-ce que quelqu'un peut me dire ce qu'est une épistémologie ?

    Nous étions tous soufflés par ce professeur au charme alambiqué. Tout au long des deux heures qui avaient suivies, je n'avais pas manqué un seul de ses mots, avide de comprendre le discours de Michel Foucault.

    — Bien ! J'espère ne pas trop avoir embué votre cerveau, nous nous retrouverons, pour ceux qui le souhaitent, la semaine prochaine autour de l'ouvrage de Roland Barthes, « Fragment d'un discours amoureux ». Bonne fin de matinée à tous.

    Dans le vacarme général des étudiants hâtés de sortir vaquer à leurs occupations, je prenais mes affaires et envisageais de passer voir Joseph pour le déjeuner, une surprise qui lui serait sans doute agréable. Joseph était friand de surprise autant que moi je les trouvais imprévisibles et mal venues.

    — Mia !

    On m'avait interpellé au loin, dans la masse d'étudiants qui composaient l'amphithéâtre plein. J'apercevais alors Radjij Haladar, un ami d'enfance qui suivait lui aussi des études de lettre, me faire de grands signes au fond de la salle.

    — Salut Mia ! Je m'étonnes de te voir ici, je ne savais pas que tu t'intéressais à la philosophie. Ça me fait très plaisir de te voir.

    — Ça me fait très plaisir aussi. Tu as bonne mine.

    Les cheveux noir de Rajij étaient retenus par un petit chignon qui lui allait fort bien. Je n'avais pas souvenir de l'avoir déjà vu arborer une coupe si longue et cet élément avait retenu mon attention, je ne saurai trop dire pourquoi.

    —  Nous allons au cinéma avec quelques amis voir Elephant man jeudi soir, est-ce que tu voudrai te joindre à nous ? Ça pourrait être chouette de prendre un peu de temps pour sortir et discuter.

    — Elephant man ? Le film de David Lynch ? Oui c'est gentil, ça me ferait très plaisir de le revoir.

    — Super. Et bien, euh... tu pourrai peut-être me laisser ton numéro de portable, comme ça je pourrais t'envoyer les horaires et l'adresse de la séance.

    — Oui, d'accord, bien sûr.

    Je prenais son téléphone et y inscrivais mon numéro et mon nom. A la réflexion, je me demandais pourquoi nous n'avions jamais échangé nos numéros. Radjij était très sympathique et ça me faisait plaisir de le croiser de temps en temps, bien que nos chemins soient différents.

    Joseph serait sans doute ravi de revoir ce film avec nous, je lui proposerai de nous accompagner lorsque l'occasion se présentera. Nous continuions notre conversation lorsque je fus percutée de plein de fou par une masse nerveuse. Je me retrouvais plaquée contre le mur sans même comprendre ce qui m'arrivait. J'entendis Radjij protester tandis que je gardais les yeux clos, de peur de faire face à ce qui m'attendais. Une véritable tornade s'était prise de moi. Lorsque j'acceptais enfin mon destin et que j'ouvrais les yeux sur ce qui m'avait bousculée, je découvrais la tignasse brune de Cassandra, qui encadrait un visage glaçant de rage. Mes yeux transperçaient les siens, sans que je ne sache si j'étais heureuse de la voir ici ou furieuse de ce qui était entrain de se passer. Je me retrouvais bloquée entre ses deux bras, contre le mur, sans rien pouvoir faire, sans même avoir envie de protester. J'attendais lamentablement de savoir ce qui allait m'arriver et cette perspective m'angoissait autant qu'elle m'attirait. Ses yeux profanes avaient envahit les miens. Lorsque son poing s'abattît contre le mur, à quelques centimètres de mon visage, je revins subitement à la raison et la poussais aussi fort que possible pour me défaire de son étreinte.

*FR* Les étoiles de CassandraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant