Mon histoire commença un jour parfaitement ordinaire : quatre humains naissaient tandis que deux autres mourraient la même seconde, il y avait toujours soixante seconde dans une minute, soixante minutes dans une heure et vingt-quatre heures dans un jour ; nous étions toujours plus de sept milliards sur Terre, et ce jour serait englouti par des milliers d'autres jours similaires.
J'utilisais ce raisonnement lorsque je faisais face à encore plus pourrie que d'habitude ; il n'était pas utile de s'attarder sur un évènement sans importance. Habituellement, ma technique marchait plutôt bien.
Cependant, je faisais face à une situation que je ne connaissais pas : une déclaration. Ennuyeux, n'est-ce pas ? Qu'est-ce qui aurait pu être pire que cela ? J'avais la réponse : une déclaration en plein week-end, normalement censé être un havre de paix sans tous ces parasites qui, dans un langage moins familier, s'appellent camarades de classe.
J'attendais donc plus ou moins patiemment (plutôt moins que plus) que l'idiot qui me faisait face se décide à enfin sortir les trois petits mots écœurants à souhait de sa bouche embêtante. Pourtant, malgré mon agacement, j'étais étrangement admirative de cet énergumène qui avait eu le courage de se lancer. Parce qu'il en fallait, pour abandonner totalement sa dignité pour venir réclamer amour et attention à une fille et ramper à ses pieds. Aussi rouge qu'une tomate il avait passé les dix dernières minutes à bégayer, incapable de prononcer une phrase correctement.
Fascinant.
Je finis cependant par être lassée de tout ce cinéma. A quoi bon le faire espérer, alors que rien de ce qu'il pourrait me dire ne me ferait changer d'avis ?
- Ecoute, le coupai-je. Je ne pense pas que ce soit possible. Je ne t'aime pas, et je suis persuadée que cette lubie te passera très rapidement.
Le garçon rougit encore un peu plus. Je commençais à m'inquiéter qu'il finisse par devenir bleu.
- Une lubie ?
Il prit une grande inspiration, grimaça et plongea une main dans ses cheveux, les tirant vers l'arrière. Puis, pour la première fois depuis qu'il m'avait abordée, il me regarda dans les yeux.
- Sérieusement ? C'est vraiment tout ce que représente ce que je t'ai dit ? Une lubie ?
Je me retins de soupirer. Il s'accrochait plus que je ne le pensais. Soit, autant le dégoûter une bonne fois pour toutes.
- Oui, une lubie, répétai-je. Un caprice. Rien qu'un caprice déraisonnable. Tu veux une comparaison ? C'est un peu comme un cadeau de Noël. Si on sort ensemble, tu t'amuseras quelques temps, puis tu t'en lasseras. Parce que ce que tu aimes, ce n'est pas le cadeau en lui-même, mais la nouveauté. Et je n'ai pas de temps à perdre avec ça. Encore moins si moi, je n'ai même pas envie de cadeau de Noël. Tu comprends pourquoi ce n'est pas possible ?
Le garçon ouvrit la bouche, puis la referma, tremblant comme une feuille. Il allait se mettre à pleurer. Pas question que j'assite à ça, et j'imagine qu'il n'en avait pas vraiment envie non plus. Je tournai donc les talons, lessivée par cette journée pendant laquelle, encore une fois, j'avais eu la poisse.
- Eh, Lucky ! m'interpella le garçon.
Bon sang, n'avais-je pas mis fin à ses niaiseries à l'instant ? Je regardai en arrière, réticente.
- Quoi ?
- J'ai compris, tu n'aimes personne et tu penses que ça n'arrivera jamais, et patati et patata. Mais si un jour, tu tombes amoureuse, tu devras me payer un sandwich !
Amusant. Il remonta un peu dans mon estime.
- C'est une promesse ? lançai-je.
- On peut dire ça ! Alors, j'ai ta parole ?
- Si ça te fait plaisir ! criai-je, lui tournant le dos en faisait un bye-bye de la main.
Je ricanai. Il allait l'attendre longtemps, son sandwich, car ce n'était pas demain la veille que je tomberai amoureuse. En revanche, quelques minutes plus tard, je m'écrasai à terre -au sens propre du terme. Encore un vilain tour du karma. Un violent choc me percuta de plein fouet et mes fesses se retrouvèrent sur le sol. Un gémissement m'échappa. J'aurais probablement du mal à m'asseoir pendant plusieurs jours. Quelqu'un jura, et je levai la tête. Un garçon (encore !) se redressait en pestant. Je le regardai ramasser son skate. Visiblement, ce dernier était la cause de notre chute. Ça ne m'étonnait pas, je n'avais jamais fait confiance aux trucs à roulettes. Mieux valait avoir les deux pieds sur la terre ferme. Le garçon me lança un coup d'œil.
- Tu as besoin d'aide pour te relever ? demanda-t-il.
Je me rappelai alors que j'étais toujours affalée sur le sol. La honte.
- Je peux le faire seule, dis-je sèchement en sautant sur mes pieds. Et la prochaine fois que tu décides de monter sur cet engin de la mort, fais attention à ce qu'il n'y ait personne dans les parages et tombe tout seul. Ça évitera à de tierces personnes comme moi de récolter des balles perdues. Surtout si tu ne sais pas en faire.
Le garçon fronça les sourcils et se planta devant moi. Je me rendis compte qu'il était très grand. Un bon mètre quatre-vingt-dix, si bien que je devais me tordre le cou pour le regarder dans les yeux.
Humiliant.
- Quoi ? crachai-je, énervée par notre différence de taille.
- C'est blessant, petite, répliqua le garçon. Je sais parfaitement maîtriser ma planche. Tu n'étais pas dans mon champ de vision, ce n'est pas ma faute.
Son ton condescendant me mettait hors de moi. Pour qui se prenait-il, cet idiot ? Je voulais lui arracher son petit sourire insupportable.
- T'es trop bête pour baisser les yeux, crétin ? Va faire mumuse avec ton jouet autre part et dégage de mon chemin !
Je passai en force, lui donnant un coup d'épaule pour le déséquilibrer. Les poings serrés, je me retenais de lui en envoyer un dans la figure. Pas question de me battre aujourd'hui ; le dimanche, c'était mon jour de congé.
- Eh, petite !
Il m'attrapa le poignet et me tira vers lui. D'un coup, je me retrouvai face à des prunelles grises argentées qui me regardaient fixement, presque impatientes. Impatientes de quoi ?
- On se reverra, susurra-t-il.
- Je ne crois pas, non, grognai-je en me dégageant.
Ses yeux se plissèrent, amusés.
- A la prochaine, Murphy.
Puis il sauta sur son skate et disparut au coin de la rue. Ce ne fut qu'une fois que je ne le vis plus que je me rendis compte qu'il avait dit mon nom. Le garçon me connaissait. Et il avait quand même osé se moquer de moi. Je shootai dans un caillou, regrettant finalement de ne pas l'avoir frappé. Enfin, je me dis que j'oublierai bien vite son visage embêtant, tout comme la journée entière et que demain serait un nouveau jour sans idiots à l'horizon.
Du moins, c'est ce que j'espérais.
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Lucky Murphy
Romance"Tout ce qui est susceptible d'aller mal ira mal" "Loi de l'emmerdement maximal" "La loi de Murphy" Autrement dit... la loi qui régissait ma vie. Le moindre petit incident virait toujours à la catastrophe sans que je ne puisse rien faire. Une bouc...