Chapitre 16

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- Bon, maintenant qu'on est arrivé, je vais te laisser.

   Je hochai la tête sans regarder le skateur dans les yeux. Depuis hier, soir j'en étais incapable. Ce matin, nous nous étions levés dans un silence gênant que même sa mère n'avait pas réussi à combler au cours du petit déjeuner, et nous avions passé la matinée et le midi à marcher sur des œufs. Puis cette gêne ne s'était pas effacée alors qu'il m'accompagnait au conservatoire pour l'audition de Julie. Et ça commençait sérieusement à me taper sur le système. Surtout que c'était un peu -beaucoup- de ma faute.

   Félix se retourna pour partir. J'eus la désagréable impression que si je ne le retenais pas maintenant, les choses allaient vraiment changer entre nous, et qu'on ne pourrait pas revenir en arrière. Ce qui me fit assez peur pour me donner la force d'attraper la manche de son manteau.

- Attends !

   Je grimaçai. Le ton que je venais d'employer sonnait comme une supplique à mes oreilles. Et ça piquait mon égo, parce que je n'en étais pas loin. Il se retourna, et mes yeux se retrouvèrent happés par ses envoûtantes prunelles métalliques. Je déglutis et me lançai :

- On doit parler d'hier soir. Je n'aurais pas dû faire ce que j'ai fait. C'était stupide.

   Ses yeux pétillants se voilèrent. Il eut un sourire contrit et recula d'un pas.

- Tu as trouvé ça stupide ?

   Je restai muette face à sa réaction. Pourquoi avait-il l'air blessé ? Était-ce à cause de la façon dont je l'avais formulé ? Il avait probablement tellement détesté m'embrasser que mon qualificatif n'était pas assez fort pour décrire ce que j'avais fait. Mais au lieu de me rassurer, cette pensée me donna la nausée. Alors comme ça, j'étais la seule à avoir apprécié ? Le mot est même faible, Lucky, tu te retiens depuis hier de lui sauter dessus pour recommencer... Je secouai la tête. Ce n'était pas ce que j'avais fait qui était stupide. C'est l'importance que je lui donnais.

- Pas toi ? répliquai-je, en faisant taire toutes les idées saugrenues qui s'agitaient dans mon esprit.

   J'eus l'impression qu'un conflit intense se jouait à l'intérieur de lui alors qu'il me fixait sans me répondre. Puis, après environ une minute qui me sembla durer des heures, Félix se détendit et posa ses yeux sur moi, un sourire aux lèvres. Il appuya une main sur ma tête et m'ébouriffa les cheveux.

- Si. C'était stupide.

   Quelque chose me dérangea dans sa réponse, alors que j'aurais dû être soulagée. Mais je ne parvins pas à mettre la main dessus. Il monta sur son skate et disparut vite au coin d'une rue, laissant derrière lui son parfum flotter dans l'air. Je me surpris à prendre une grande inspiration. Cette odeur me rappela notre promiscuité d'hier... et je rougis furieusement.

   Pour penser à autre chose, je finis par entrer dans le conservatoire et me mis à la recherche de mon amie.

***

   Le couloir jusqu'à la salle de danse était interminable. Je suivais les indications des panneaux depuis cinq minutes sans jamais en voir le bout. Bon sang, mais où est cette putain de salle ? Je crois que de la fumée commençait à sortir de mes oreilles lorsque j'entendis la voix de Julie. Ce n'est pas trop tôt.

   Au fur et à mesure que je m'approchais, je me rendis compte que mon amie n'était pas seule ; une autre voix -hargneuse- l'accompagnait.

- Tu ne seras jamais bonne, alors abandonne, cracha la voix hargneuse.

   Je serrai les poings, et accélérai le pas. Pour qui elle se prend, celle-là ?

- J'ai envie d'essayer, balbutia Julie.

Lucky MurphyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant