Chapitre 15

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   Après que Félix soit rentré chez lui -le repas s'était mieux passé que ce à quoi je m'étais attendue, le reste du week-end fila à toute allure. Et, le dimanche soir, je dus dire au revoir à ma mère qui, d'après ce que j'avais compris, ne reviendrait pas à la maison avant au moins un mois.

- Prends soin de toi, ma chérie, murmura-t-elle en me serrant contre elle de toute ses forces. Et prends soin de Félix, aussi. Un ami comme lui, on en rencontre moins d'une fois dans une vie. Tu as eu de la chance, alors chéris ce que tu possèdes, d'accord ?

De la chance ? Je repensai à tout ce qu'il m'était arrivé depuis que ce skateur insupportable était entré dans ma vie, et un sourire m'échappa. Oui, on peut dire que j'ai eu de la chance.

- Promis, maman. Prends soin de toi aussi.

   Elle me serra encore une fois dans ses bras et, cinq minutes plus tard, sa voiture disparaissait dans l'angle de la rue. Je soupirai ; encore une fois, je me retrouvais seule dans cette maison.

***

   Le lendemain, lorsque mon réveil sonna -car, depuis plusieurs semaines, je n'avais pas eu une de ces étranges pannes, je me levai rapidement, motivée à aller en cours. J'arrivai pour la première fois de ma vie en avance au lycée et je vis que monsieur Mason était déjà dans sa salle. Je toquai doucement.

- Entrez, lança-t-il.

   J'ouvris la porte et me précipitai à son bureau et lui collai mon autorisation sous le nez. Il leva un sourcil, mais le tremblement de ses lèvres trahit son amusement.

- Bonjour à toi aussi, Lucky.

- Bonjour. J'ai la signature de ma mère, renchéris-je précipitamment.

   Un petit rire lui échappa devant mon enthousiasme et mon évidente impatience, et il attrapa -enfin- la feuille que je lui tendais. Le temps qu'il vérifie que tout était en ordre, les élèves commencèrent à rentrer.

- Le premier tour de qualification est le 12 décembre. Je t'enverrai les détails par mail.

   Je hochai la tête et traversai la salle pour retrouver ma place, tout au fond et près de la fenêtre. Un idiot se retourna, un air condescendant collé au visage, et lorsqu'il se mit à parler, je le reconnus. C'était le débile de l'autre fois.

- Alors c'est vrai, cette histoire de concours ?

- Non, t'as des hallucinations, crachai-je. Espèce de con.

   Il leva les mains en signe de paix.

- Calme-toi, je voulais juste être sympa.

   Je fronçai le nez, dégoûtée. Bon dieu, à côtoyer Félix, j'en avais oublié mon aversion pour cette étrange et horripilante espèce appelée adolescents.

- Garde ta sympathie pour toi où je te la foutrai là où je pense, grognai-je.

   Il ne tenta même pas de répondre, et je me dis que même s'il était totalement idiot, au moins, il n'était pas suicidaire. Quelques autres élèves continuèrent de me regarder à la dérobée, avec une curiosité à peine contenue, un peu comme s'ils avaient sous les yeux une créature étrange, mais même si cela me dérangea, je ne dis rien ; je me faisais exactement la même réflexion à leur sujet. De mon point de vue, toute la population adolescente était extra-terrestre. A quelques exceptions près, certes, comme Julie ou moi. Et si je ne comprenais absolument rien à la logique de Félix, je ne pouvais le mettre dans le même sac que les autres. Mais tout le reste de cette immense -et bien trop envahissante- espèce agissait de la même manière et avaient un sens catastrophique des priorités. Comme la fille assise devant moi en cours d'anglais ce matin-là, qui préférait se repoudrer le nez plutôt que d'écouter le cours, ou encore le couple qui mangeait à la même table que Julie et moi, qui préférait se fourrer la langue dans la bouche, ce qui était tout à fait écœurant, plutôt que de manger.

Lucky MurphyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant