Chapitre 3

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  Cet imbécile de skateur me toisait de son air supérieur depuis maintenant un petit moment, et il ne semblait pas vouloir déguerpir. Bon sang, avait-il décidé de camper ici ? Je pestai et me levai pour lui faire face, sans que cela ne change grand-chose à notre différence de taille. C'était si vexant.

- Bouge, grognai-je.

  Ses prunelles métalliques brillèrent un peu plus, pétillantes d'amusement. Je serrai les poings pour ne pas lui en mettre une. Ce mec me sortait par les yeux. Je soupirai pour calmer ma soudaine envie de meurtre et me rassis sur le banc sans plus chercher à faire attention à lui.

  Alors que je pensais qu'il finirait par s'en aller, il s'assit à mes côtés, m'arrachant un sursaut d'indignation. Le coin de sa lèvre se releva. Encore une fois, il se moquait ouvertement de moi.

- Bouge, répétai-je, encore trop chamboulée par la venue de mon père pour le faire dégager par moi-même.

- Pas envie.

  Sa voix grave et basse m'insupportait. Elle était trop calme, et créait un contraste déroutant avec son comportement. C'était perturbant. Et je n'aimais pas cela.

- Il y a plein de bancs. Va en prendre un autre, tentai-je, un peu plus sur les nerfs encore.

- C'est celui-là que je veux. Tu n'as qu'à partir, toi.

  C'est vrai que j'aurais pu. Mais ça aurait voulu dire perdre contre lui. Et il n'en était pas question. Alors j'attendis que le temps passe, les bras autour de mes jambes, la tête sur les genoux. Et une demi-heure passa sans que l'un de nous ne bouge.

- Il commence à faire nuit, commenta-t-il. Tu ne rentres pas chez toi ?

  J'ignorai sa question.

- Et toi alors ? Tu ne devrais pas rejoindre tes petits amis skateurs, au lieu de polluer mon espace ?

  Il soupira et ricana en secouant la tête.

- Mon seul copain skateur est en train de faire une crise de déprime et refuse de sortir de chez lui parce qu'une certaine personne l'a éconduite.

  Il appuya la fin de sa phrase d'une œillade suggestive à mon égard. Je compris alors qu'il faisait référence à l'imbécile d'hier. Pas étonnant que je lui sois rentrée dedans juste après la sortie du parc ; il était surement venu réconforter son pauvre ami. Je grimaçai.

- Il est idiot de se lamenter sur son sort comme ça.

- Et toi, tu es méchante. Tu aurais pu faire preuve d'un peu plus de compassion et de gentillesse.

  Je plissai le nez, très loin d'être enchantée par ce qu'il venait de dire.

- Pour quoi faire ? C'est ma faute s'il est tombé amoureux de moi ? Laisse-moi rire ! Je ne le lui ai jamais demandé ou fait quoi que ce soit qui puisse passer pour de la drague. Il est le seul en tort dans cette affaire, et ne peut s'en prendre qu'à lui-même !

  Le garçon me fixait de ses yeux gris métalliques qui reflétaient toute la malice de son caractère insupportable. Et je compris qu'il allait, encore une fois, me dévoiler l'étendue de son talent pour me faire chier.

- Tu es sans cœur, le microbe.

  Je bondis du banc et frappai de toutes mes forces dans son tibia, incapable de me retenir. Il jura, le visage déformé par la douleur et je le laissai seul, un poil satisfaite de lui avoir fait perdre son expression hautaine. Pour qui se prenait-il, sérieusement ? Je priai pour ne plus le recroiser, consciente que si cela se produisait, je risquais de faire plus que simplement lui donner un coup de pied. Je m'emportais vite et réglais mes problèmes par les poings. Et j'avais parfaitement conscience que ce n'étais pas très malin. Mais j'étais incapable de changer. J'étais trop impulsive.

Lucky MurphyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant