Chapitre 17

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  J'arrivai en cours le lundi matin, la boule au ventre. Allais-je réussir à ne rien laisser paraître ? Parce qu'il était inconcevable que Félix soit un jour au courant de mes sentiments. Pour rien au monde je ne gâcherai l'amitié que nous avions. Car ça foutrait la merde à coup sûr. Et qu'elle était bien plus précieuse que ce que je pouvais ressentir. Je grimaçai. De toute façon, ce que j'éprouvais ne pouvait qu'être éphémère. C'était comme ça, l'amour. Ça ne durait jamais bien longtemps. C'était fictif, un simple et joli mirage qui nous rendait fou un temps, puis nous nous rendions compte de la supercherie, et notre cœur redevenait désert.

  Mais, même si j'avais réussi à me convaincre le long du chemin, lorsque je vis qu'il m'attendait au portail, ma respiration s'accéléra et mes mains devinrent moites. Son visage rayonnait ; il m'éblouit. Tout s'effaça en dehors de lui, son sourire et ses pupilles métalliques. Je clignai plusieurs fois des yeux pour me reprendre. Ce n'est qu'un mirage, Lucky. Un putain de mirage.

  Félix s'approcha de moi et mon ventre se tordit douloureusement. Je paniquais un peu plus à chaque pas qu'il faisait. Et, alors que seulement quelques mètres nous séparaient, je fis -j'imagine- la pire chose à faire : m'enfuir. Je ne retournai qu'une fois, et l'expression qu'avait Félix m'assaillit de remords. Il me fixait m'éloigner, blessé et confus. Cela me hanta toute la matinée. Je ne pouvais penser à autre chose. Tu es stupide, Murphy ! Comment veux-tu faire comme si tout était normal si tu prends la fuite dès que tu le vois ?

  Je ne remarquai même pas monsieur Mason lorsqu'il se planta devant mon bureau et se racla la gorge. Il dut frapper dans ses mains à côté de mon oreille pour que je revienne à moi.

- Lucky, je ne sais pas ce qu'il t'arrive, mais j'aimerais bien que tu continues à suivre le cours, s'il te plaît.

- Pardon, monsieur, marmonnai-je mortifiée.

  C'était mal parti, si même le prof voyait que quelque chose n'allait pas.

- D'ailleurs, je te le rappelle, parce que tu as l'air un peu dans la lune, mais tu as la première étape du concours cette semaine.

  Putain de merde ! Je pinçai mes lèvres. Comment avais-je fait pour oublier un truc pareil ? Je baissai les yeux pour éviter ceux du prof, mortifiée.

- Oui, monsieur.

  Il soupira puis retourna au tableau pour continuer son cours. Et malgré ses avertissements, mon esprit ne put s'empêcher de revenir sur Félix. En fait, plus je tentais de l'oublier, plus j'y pensais. Bon sang, qu'est-ce qu'il m'a fait, cet imbécile ? Et d'ailleurs, pourquoi suis-je tombée amoureuse de lui, sérieusement ? Je me remémorai Félix dans ses meilleurs moments de gloire, c'est-à-dire, entre autres, lorsqu'il s'était mis des stylos dans le nez, dans l'espoir que cela change mes sentiments. Peine perdue. Etais-je bizarre pour sentir mon cœur se gonfler d'amour même dans ces moments aussi peu avantageux ? Oui, Lucky, tu es bizarre. Complètement tarée. C'est de Félix dont tu parles, idiote !

  Puis une autre pensée s'insinua dans mon esprit sans que je ne puisse l'arrêter. S'il venait à l'apprendre, comment réagirait-il ? Il ne voudra plus te voir, Lucky, c'est évident. Pourquoi serait-il content que tu l'aimes ? C'est juste bizarre. Ma gorge se noua, et incapable de maintenir mon stylo car ma main tremblait trop, il tomba sur le sol. La classe entière, dont le professeur, se tournèrent vers moi. Ma respiration devint saccadée, et des gouttes de sueur perlaient le long de ma nuque. J'étais incapable ni de dire quoi que ce soit, ni de bouger, et les larmes me montèrent aux yeux lorsque l'image d'un Félix horrifié par ma déclaration s'imprima dans mon crâne.

  Je ne vis pas le professeur s'approcher de moi et me prendre par l'épaule pour m'emmener hors de la salle, et je ne repris qu'un semblant d'esprit qu'une fois arrivée à l'infirmerie.

Lucky MurphyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant