Chapitre 9

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  Félix frissonna et fourra ses mains dans ses poches. Voilà dix minutes qu'il était arrivé devant le lycée, et une troupe d'élèves, certains de sa classe, et d'autres de la classe de première, était en train de se former, attendant le départ du car. Il soupira. Il faisait un froid de canard, il avait plu toute la nuit, le temps était gris, et il n'y avait toujours aucune trace de Murphy. Et malgré toutes les personnes rassemblées autour de lui, la lilliputienne était la seule personne à qui il souhaitait parler. Il soupira une nouvelle fois. Bon sang, elle ne va quand même pas sécher ? Le skateur commença vraiment à se décourager et se dit qu'il allait passer une journée de merde. Puis dans la foule, des murmures se firent entendre. Il comprit que Murphy venait d'arriver. Car il n'y avait qu'elle pour attirer autant les regards. C'était évident. La ville était si petite que dès que de nouvelles personnes s'y installaient, il ne fallait pas plus de deux heures pour que tous les foyers soient au courant. Alors une étrangère fraîchement arrivée d'Amérique, pas moche du tout, avec une présence aussi imposante qu'un monument et un caractère plus explosif que de la poudre à canon, n'y passait pas vraiment inaperçue. Mais loin de se préoccuper de tous ces coups d'œil, ni même de s'en rendre compte, la silhouette menue de la petite américaine fendit la foule et fonça droit sur le skateur. Et enfin, Félix pensa qu'il passerait une bonne journée.

- Jamais à l'heure, hein ? lança-t-il, retrouvant son sourire en coin.

- Le car n'est pas encore parti.

  A l'instant même où Lucky eut fini sa phrase, les profs appelèrent sa classe pour monter dans le car.

- Tu me gardes une place ?

- Je ne sais pas si j'ai envie de te supporter tout le trajet.

- Tu ne peux pas te passer de moi. Alors profite tant que je suis là, comme ça tu n'auras pas à m'appeler parce que tu ne m'as pas parlé de la journée et que je te manque, microbe.

  Elle lui jeta ce regard noir dont elle avait le secret et qui, depuis plusieurs semaines, le faisait rire plus qu'il ne l'énervait.

- Bouffon.

  Elle tourna les talons et monta dans le bus. Il la suivit des yeux, amusé. Puis quelqu'un siffla à son oreille. Il grimaça et se retrouva face à un mec de sa classe qu'il avait jugé con dès leur première rencontre et dont il avait pris grand soin de ne pas s'approcher. La connerie n'était pas contagieuse, mais Félix n'aimait pas être violent, et il connaissait ses limites. Or, si ce mec, Gabriel, empiétait trop sur son espace personnel, il n'était pas sûr de rester pacifiste. Il rit intérieurement en pensant que Murphy, au contraire, aurait utilisé cette excuse pour se défouler un bon coup.

- Qu'est-ce que tu veux, Gabriel ? siffla-t-il d'une voix agacée.

  Habituellement, avec ce genre de gars, le skateur prenait un ton enjoué, un peu trop, même, qui leur passait l'envie de lui parler à nouveau. Comme ça, on lui fichait la paix, et la discussion ne virait jamais à l'embrouille. Pourtant, ce jour-là, il n'avait pas vraiment envie de plaisanter. Car il savait pertinemment que Gabriel était venu vers lui après l'avoir vu échanger avec minipouce. Celui-ci leva les mains en signe de paix.

- Tout doux, mec ! Alors comme ça, t'es pote avec l'Américaine ?

  Dans le mille. Félix le toisa de toute sa hauteur. Tout l'insupportait chez lui. Et cette façon qu'il avait de prononcer ce surnom ridicule qui avait été donné à Murphy le jour de son arrivée le mettait hors de lui. Un surnom qui montrait l'étendue de la xénophobie qui sévissait dans cette petite ville de campagne.

- Elle s'appelle Lucky. Et tu pourras l'appeler l'Américaine quand tu feras moins de fautes qu'elle en français.

  Parce qu'il fallait le dire, Gabriel était complètement idiot. Il n'avait aucun problème de dyslexie ou d'autres trucs du genre. Il n'avait simplement rien dans le crâne.

Lucky MurphyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant