Chapitre 2

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   L'enfer. Un lieu de supplice et de cruelles souffrances pour les damnés. En d'autres termes, le lycée. C'est ce que les adolescents aiment dire du bahut pour plaisanter. Ils ne savent pas de quoi ils parlent. Moi, en revanche, j'en avais parfaitement conscience. Toujours en retard -malgré moi-, sans amis, des notes très moyennes qui m'avaient évité de justesse le redoublement, méprisée par les profs et haïe par les élèves. Pas que j'aurais préféré que tout le monde m'aime : je n'aimais personne non plus. Mais au ressentiment, j'aurais préféré l'indifférence. Parce que les remarques, ça allait deux minutes. Surtout quand on avait l'interdiction de leur renvoyer la balle avec un petit coup sous peine d'être définitivement exclue.

   Tout ça pour dire que je vivais un enfer pratiquement tous les jours, qui commençait au moment où mon réveil sonnait. Quand il ne tombait pas en panne. C'est-à dire, pas souvent (il était la cause la plus fréquente de mes retards).

   Ce matin, la raison de mon retard fut un peu moins... courante. Je m'étais réveillée à l'heure. Même suffisamment tôt pour que je puisse me rendre au lycée à pied malgré la grève de bus. Jusque-là, rien d'inhabituel. Un commencement de journée à la Lucky Murphy parfaitement normal : si un malheur n'arrivait pas, il était remplacé par un autre. Mais parfois, il arrivait que deux malheurs surviennent simultanément. Sur le chemin, à la grève se rajouta la pluie. Une pluie torrentielle qui détrempa mes vêtements en à peine quelques secondes.

   Je continuai mon trajet, accélérant la cadence pour vite me retrouver dans un endroit sec. Ironique, n'est-ce pas ? Le lycée devenait mon refuge. Je fixai mes pieds, ne pensant à rien d'autre qu'à arriver le plus vite possible. Grave erreur. En quelques instants, une voiture passa à toute vitesse près du trottoir, ramassant avec elle une gerbe d'eau boueuse qui s'abattit sur moi. L'humidité s'infiltra dans mes vêtements. Je dégoulinais des pieds à la tête, aussi sale que jamais.

Encore un putain de coup du mauvais sort !

   Furieuse, je ramassai un caillou de la taille d'une balle de tennis de table. La voiture qui m'avait arrosée s'était arrêtée au feu rouge. Parfait. Je pris de l'élan, un peu comme les lanceurs au base-ball, et j'envoyai de toutes mes forces la pierre sur le pare-brise arrière. Puis je m'enfuis, un sourire se formant sur mes lèvres à l'entente du verre brisé et des vociférations du conducteur.

   Je sortis mon téléphone. Je n'avais pas le temps de rentrer pour me changer sans arriver en retard. Génial. J'allais devoir me pointer au lycée, poisseuse et nauséabonde. Impossible d'arriver encore en retard, au risque de recevoir une énième heure de colle. Je courus le plus vite possible et passai la grille avant qu'elle ne ferme. Parfait. Je m'élançai vers la salle de cours. Une dernière personne était en train de rentrer. Je me faufilai derrière lui, mais le professeur m'arrêta.

- Mademoiselle Murphy, où comptes-tu aller dans cet état ? Et que t'est-il arrivé, bon sang ?

   Je grimaçai. Comment lui dire que j'avais été aspergée par une voiture sans que cela ne paraisse ridicule ?

- Euh, j'ai eu un petit accident avant d'arriver, et je n'ai pas eu le temps de me changer...

   Monsieur Masson et les élèves me fixaient, le premier sceptique, les autres moqueurs. Bande d'imbéciles. Le professeur soupira et repoussa ses lunettes sur son nez.

- Va demander du change à la vie scolaire, Lucky, tu ne peux pas rester comme ça. Et viens me voir à la fin des cours, j'ai à te parler.

- Bien, monsieur.

   Je me retournai d'un coup, la main sur la poignée de la porte.

- Vous ne me comptez pas en retard, hein ? Je suis arrivée à l'heure !

Lucky MurphyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant