Chapitre 6

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  Je fixais ma mère qui semblait sur le point de me sauter à la gorge. Son silence pesant et lourd de reproches attisa ma colère. Voilà plus d'un mois qu'elle n'était pas rentrée à la maison, et elle me tombait déjà dessus. Elle n'avait pas le droit.

- Ça faisait longtemps, lançai-je, sarcastique. Six semaines, je crois ? Ou peut-être plus... J'ai arrêté de compter.

  Ma provocation la tira de sa fureur mutique et d'un simple coup d'oeil aussi noir que glacial, elle m'intima de me taire.

- Ne me parle pas sur ce ton, jeune fille ! Je ne pense pas que tu sois en droit de dire quoi que ce soit pour l'instant ! J'en ai plus qu'assez de ton comportement !

  Je n'étais pas en droit de dire quoi que ce soit ? Vraiment ?

- Parce que tu penses être en droit de le faire, toi ? m'emportai-je. Ça fait des semaines que je ne t'ai pas vue une seule fois, et la première chose que tu penses faire quand tu rentres, c'est me tirer du lit pour m'engueuler sur mon comportement ?

- Ce n'est pas la même chose, Lucky !

- Oh, si, au contraire, je pense que c'est exactement pareil ! répliquai-je. Moi aussi j'en ai plus qu'assez de ton comportement ! Tu n'es jamais là !

  Elle se rapprocha un peu plus de moi, les bras croisés pour tenter de se contenir.

- Et donc mes absences dues à mon travail excusent ta moyenne catastrophique, ton manque de respect envers ton père et ton comportement colérique et bagarreur ?

  Je serrai les poings. Je détestais lorsque nous nous disputions, mais j'étais tellement remontée contre elle que je n'arrivais pas à m'arrêter.

- Parce que tu défends ce connard maintenant ?

- Lucky ! s'écria ma mère. Tu es peut-être très en colère contre lui, mais il reste ton père ! Tu lui dois du respect !

- Et il t'a respectée, lui, quand il t'a trompée comme une moins que rien ?

- Ça suffit ! hurla-t-elle. Je ne veux plus revenir sur ce sujet. Et puis encore, si il n'y avait que ça... Mais tes notes, Lucky ! Tu veux ruiner ton avenir, c'est ça ?

  Elle souhaitait vraiment parler de mes notes ? Très bien.

- Mes notes sont en train de remonter, figure-toi ! Mon prof de maths a remarqué que je me débrouillais bien dans sa matière et j'ai des cours de soutien en français ! Mais ça, tu ne peux pas le savoir, puisque tu n'es jamais à la maison !

- Je travaille, Lucky ! Tu crois que ça m'amuse de ne pas rentrer pendant des semaines ?

  Elle racontait n'importe quoi. Je savais pertinemment qu'elle ne rentrait pas parce que cette maison lui rappelait la vie que nous avions perdue. Comme moi.

- Tu sais ce que je crois, moi ? Je crois que tu me négliges. C'est parce que je ressemble trop à papa que tu ne veux plus de moi, c'est ça ?

  La gifle partit toute seule, sans que je n'ai le temps de réagir. Je vis à la tête de ma mère qu'elle était aussi surprise que moi par son geste. Et qu'elle le regrettait déjà.

- Lucky, commença-t-elle en s'avançant vers moi, je suis désol...

- Laisse-moi ! hurlai-je. Ne me touche pas !

  Je la contournai et pris la fuite ; j'enfilai mes chaussures, attrapai mon sac et claquai la porte derrière moi. Je savais que la gifle était bien méritée, et que j'avais dépassé les bornes. Mais cette dispute m'avait mise hors de moi, alors la claque avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Je restai un moment au milieu de ma rue, tremblante de rage avant de me décider à traîner dans la ville pour me vider la tête. Une fois le tension redescendue, je me mis à grelotter ; dans la précipitation, j'étais sortie sans manteau. Et puisque ma mère m'avait tirée du lit, je ne m'étais pas changée. J'étais donc toujours en pantalon de yoga et en t-shirt à manches courtes. Et nous étions au mois de novembre. Une bourrasque me fit claquer des dents. Génial ! Je jurai dans ma barbe, accélérant le rythme de ma marche, une vaine tentative pour me réchauffer.

Lucky MurphyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant