Chapitre 1

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Rue Bonnefoi

Ce n'est pas tous les jours qu'on voit ça. Un bout de tissu rose au milieu d'une jupe aussi courte. Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas vu la jupe, car elle semblait aussi aérienne qu'un nuage. Non, je ne prends pas plaisir à épier les culottes des jeunes filles, c'est juste que celle-là a accaparé toute mon attention. J'avais encore le visage tout embué de rosée et, tout à coup, j'ai vu cette paire de jambes rayonnant parmi ce brouillard de pantalons. Elle portait de petites bottines qui cognaient mélodieusement contre mes joues. Il y avait quelque chose d'un peu chancelant dans sa démarche, comme si elle n'était pas sûre de vouloir aller là où elle allait. Sa façon de marcher me faisait le même effet que les pétales de cerisiers qui m'arrivent parfois du parc d'à côté. Une sorte de caresse. Un ravissement inattendu. J'ai senti qu'elle s'apprêtait à vivre un moment important. Alors j'ai éloigné le petit gravier qui aurait pu la faire trébucher. Et j'ai fait pousser une fleur au bout de mon corps avant qu'elle ne l'atteigne. Je crois que secrètement j'espérais la retenir. Comprendre qui elle était. Pourquoi elle marchait de façon si décidée et si réticente à la fois. Capter un peu de cette vie que les passants abandonnent parfois sur le bitume lorsqu'ils oublient que je suis là pour les épier. Je guettais la moindre chose qui pourrait tomber de son sac, de sa veste comme je guette la fin du printemps qui m'apporte les fleurs de cerisiers.

Elle s'est arrêtée pour regarder la marguerite. Au moins, elle l'avait vue ! J'étais tellement content. Un instant, j'ai cru qu'elle allait la cueillir et me remercier. Oui, je sais, c'était un peu utopique.

Je l'ai compris quand ses jambes se sont raidies et ont brusquement quitté mon corps, me rappelant que je n'étais qu'un vulgaire trottoir.

Je mentirais si je prétendais ne pas avoir attendu impatiemment qu'elle fasse le trajet inverse. En général, les humains m'empruntent au moins deux fois. Mais il y a des exceptions. Des passants fugitifs qui ne reviennent jamais sur leurs pas. J'espérais qu'elle ne ferait pas partie de ceux-là.


La fille au pas désenchantéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant