2 AOÛT 2014
Je pose le sac par terre et j'observe la réaction de Manël: ses yeux s'écarquillent et elle sourit de toutes ses dents avant de me regarder avec les larmes aux yeux.
- Emna! T'as fait quoi? dit-elle la voix tremblante.
- J'ai un peu changé ma chambre... dis-je avec le sourire.
J'ai enlevé quelques meubles superflus de ma chambre et j'y ai ajouté un deuxième lit, grâce à l'aide de Lucas qui s'est levé exceptionnellement tôt pour moi ce matin. J'ai refait entièrement ma chambre afin d'y accueillir ma meilleure amie qui s'installe officiellement chez nous. J'ai évidemment passé un coup de fil à mes parents avant de le lui proposer puisque c'est eux qui paient le loyer et ils ont accepté très facilement, étonnement.
- Laisse-moi un peu de temps et tu t'installeras dans ma chambre, annonce la voix de mon frère.
On se retourne et je vois la palestinienne sourire niaisement à mon aîné qui sourit légèrement.
- Faudra lui passer la bague au doigt si tu veux qu'elle s'y installe LOL, dis-je pour plomber l'ambiance.
- C'est le projet, dit-il en regardant Manël. C'est le projet.
Manël rigole et embrasse tendrement mon frère.
Je ne suis pas étonnée par le comportement de mon frère: il est aux petits soins avec elle et n'a pas quitté sa chambre d'hôpital. Il est clairement amoureux et ne s'en cache plus, ça ne m'étonne donc pas qu'il pense au mariage.
La réaction de Manël, quant à elle, m'étonne. Je ne pensais pas qu'elle puisse songer à se marier, elle qui fuyait jusqu'à présent les relations amoureuses. Mon frère a donc réussi à la changer...
Je suis heureuse pour eux mais je me sens abandonnée par ma meilleure amie, si elle se marie nous ne pourrons pas réaliser notre rêve qui est de partir vivre à l'étranger! Mais bon, ce cirque durera jusqu'à ce que l'un d'eux fasse une connerie — très certainement Manël qui en aura marre de se contenter d'un seul homme.
*
* *
Une fois que je me suis assurée que tout le monde dorme, je sors de l'appartement sur la pointe des pieds. Je ferme la porte à clé et je descends les escaliers du bâtiment tout doucement.
Je sors du hall du bâtiment et j'avance d'un pas déterminé en direction du bât' C. Je fais tout de même attention à ce que personne ne me voit, ça serait bête que mon frère m'attrape maintenant.
Je passe devant un groupe de mecs et je croise les bras sur ma poitrine avant d'avancer tout droit en fixant le sol. Je prie intérieurement pour qu'ils ne m'approchent pas. Par chance, ils ne me calculent pas et je continue mon chemin. Je finis par trouver la personne que je cherche: il est adossé contre un mur, en train de fumer un joint comme d'habitude.
Son regard se pose sur moi et il m'analyse rapidement avant de me faire un signe de tête. Je me tiens face à lui et il écrase son mégot par terre avant de me cracher sa fumée dessus. Je tousse et j'agite mes mains en l'air pour faire partir la fumée et cette odeur de shit.
-Je m'attendais pas à te voir arriver, me dit Tarik en ricanant.
-Pourquoi? Tu m'as bien dit rendez-vous à minuit, non?
Il m'observe avec ses gros yeux bruns et je crois deviner un léger sourire sur ses lèvres.
-Je pensais que tu perdrais ton courage.
Je roule des yeux et je me mords l'intérieur de la joue. Il sort un bigo de sa poche et il me le tend, je l'attrape et je l'inspecte.
- C'est quoi ça?
- J'ai enregistré mon numéro dedans, tu m'appelles uniquement avec ce bigo ok? Et l'utilise pas pour autre chose.
- Ok.
Je hausse les épaules et je range le bigo dans la poche de mon jogging.
- Bon, on commence? demandai-je impatiemment.
Il me regarde de haut en bas et il se met à rire.
- Eh franchement, je sais pas comment tu vas faire pour vendre quoique ce soit. Avec ta gueule d'ange, aucun iencli va t'approcher.
Je le regarde de travers.
- Ferme ta gueule, bientôt c'est moi qui vais gérer le terrain.
Je prends un air hautain et un petit rictus apparaît sur ses lèvres. Il me fait signe de le suivre. On se pose dans une cage d'escalier et il me tend un sachet de beuh.
- Y a un mec qui va arriver, j'te laisse t'en charger. Je t'ai filé un 10. Je te regarde faire.
Je mets le sachet dans ma poche et j'allais répliquer mais il disparaît dans l'ombre. Je dois avouer que j'ai un peu peur, je n'ai aucune idée dans quoi je viens de me lancer. Il ne m'a donné aucune instruction, je ne sais même pas exactement comment ça se passe!
Le mec s'approche et regarde autour de lui avant de m'observer. Il plisse les yeux et il me fait un signe de tête.
- Tu vends?
Je souffle du nez et je lui lance un regard blasé.
- Ouais, j'ai un 10.
- Ok.
Je prends le pochon qui se trouve dans ma poche et le mec me tend sa main. Je la serre et on échange l'argent contre le pochon en une poignée de main. Il me fait à nouveau un signe de tête et il repart. Je souffle pour relâcher la pression, je crois que j'ai arrêté de respirer pendant tout notre échange.
Quelques secondes plus tard, Tarik sort de sa cachette et il hoche doucement la tête sans parler, je crois que ça veut dire que j'ai réussi le test. Je lui tends le billet que je viens d'échanger et il secoue la tête.
- Garde-le en souvenir.
Je ricane et il me fait signe de m'asseoir, ce que je fais, et il s'assoit également. Il m'explique ce que je dois faire, comment réagir si je me fais contrôler ou si y a carrément une descente.
- Mais t'inquiète pas, y a peu de chances qu'ils te suspectent. La règle d'or c'est de jamais donner de nom.
Je hoche la tête et je déglutis.
- Je te raccompagne, dit-il finalement en se levant. Tu commences demain soir.
- Non c'est bon, j'y vais toute seule, dis-je en me levant à mon tour.
- Casse pas les couilles, vas-y.
Son visage s'assombrit immédiatement. Je ne sais pas quel est son problème, il faut qu'il apprenne à se détendre.
- Je suis venue seule tout à l'heure, t'inquiète pas pour moi.
- J'en ai rien à foutre de toi, je le fais pour Youssef. Si j'étais à sa place, j'aurais aimé qu'il raccompagne ma sœur. Y a trop de mecs chelou dehors.
- C'est toi le mec chelou ouais, tu veux que j'te rappelle que t'as pointé ton flingue sur moi? Tu penses qu'il aurait kiffé savoir ça Youssef? dis-je en haussant le ton.
Oui, je continuerai de lui ressortir cette histoire jusqu'à ma mort. Je pense que c'est justifié.
- J'te raccompagne ou j'appelle Youssef, à toi de choisir Emna.
Je cède à sa proposition en soupirant et il me raccompagne jusqu'à ma porte, en étant bien sur ses gardes pour ne pas se faire repérer. Il doit avoir l'habitude.
- Pas un mot à Youssef, me dit-il avec une voix menaçante.
- T'inquiète. Personne sera au courant.
Il hoche la tête et il me fait un signe de la main vers la porte d'entrée de chez moi.
- Vas-y, hors de ma vue. Sois à l'heure demain.
Je lève les yeux au ciel et je rentre doucement chez moi, en tentant de ne faire aucun bruit. Ensuite, je me couche sur mon lit et je fixe le plafond, la tête posée sur mes bras croisés.
Je repense à Tarik et à son regard qui m'obsède. Lorsqu'il se pose sur moi, j'ai l'impression que le feu prend possession de moi, tellement il me donne chaud. Il faut que je me ressaisisse.
Je pense également au bourbier dans lequel je me suis embarquée. Je sais que c'est une erreur mais je ne peux plus reculer à présent.
