2 MARS 2015
2 MOIS PLUS TARD
J'allume ma clope et je me redresse avant de m'appuyer contre la tête du lit. Le brun avec qui j'ai passé la nuit pose sa tête sur mes cuisses et il me regarde d'en bas, couché perpendiculairement à moi. Il attrape la cigarette entre mes doigts et tire quelques fois dessus avant de me la rendre.
- T'as un double menton vu d'en dessous, me fait-il remarquer.
- Ça c'est parce que je porte ton enfant, aies un peu de respect!
Il lève les yeux au ciel et s'enlève de mes cuisses, contrarié. Je lui casse les couilles depuis son anniversaire en faisant semblant d'être enceinte et ça le rend ouf à chaque fois mais ça me fait rire. J'en ris parce que je sais que ce n'est pas le cas mais le jour où je tombe enceinte, je fais une syncope.
- Emna, tu me casses les couilles! se plaint-il en roulant un joint.
- Je sais que tu m'aimes Tarik, me moquais-je.
- Un peu trop même.
Je souris et j'embrasse sa mâchoire. Il est loin d'être l'homme idéal qui est romantique et tout le tralala mais je n'échangerais ce genre de déclarations contre rien au monde. Tout ceci me suffit.
Il allume son joint après l'avoir roulé et je dis « P2 » mais il secoue la tête.
- Tu peux pas, t'es enceinte.
Je ricane et je vais m'assoir à califourchon sur ses cuisses. Mon brun est directement déconcentré, son regard se perdant sur mes courbes qu'il aime tant. J'en profite donc pour prendre le joint et tirer dessus, ce qui le contrarie fortement.
- Fais pas chier, j't'ai déjà dit que j'aimais pas que tu fumes ça. De temps en temps j'en ai rien à foutre, mais tu peux pas fumer tous les jours avec moi!
- T'as toujours pas compris que ça servait à rien de m'interdire quelque chose Tarik.
- J'ai compris t'inquiète pas. Faut juste que tu comprennes toi, dit-il en posant son index sur mon front, que tu dois te mettre des limites parfois. T'en as zéro, t'es encore pire que Manël à l'époque.
- Arrête, t'es encore plus chiant que Youssef.
Il secoue la tête et il récupère son joint. Je descends de ses cuisses et je me couche sur le dos, fixant le plafond.
- Tu pars quand? demandais-je.
- J'sais pas, ça dépend quand Nabil se réveille. Mais vers 13h, donc dans deux heures.
- Ça marche.
À minuit, le premier projet des deux frères est sorti: la mixtape "que la famille". J'ai eu l'occasion d'écouter certains sons avec eux et c'est plutôt pas mal. Il y a la plupart de leurs potes qui ont posé des couplets dans leurs sons donc c'est assez intéressant à écouter, c'est diversifié. Je n'aime pas forcément le rap mais ça me plaît bien ce qu'ils font.
Cet aprem, ils vont se retrouver au studio pour réécouter le projet et surveiller les statistiques de la sortie, etc. Puis ce soir ils font une soirée à l'appart avec quelques personnes du quartier pour fêter tout ça, malheureusement pour moi Youssef y est invité et moi aussi.
Youssef ne sort quasiment plus depuis plusieurs mois et jamais sans Manël. Ils sont devenus le petit couple parfait et je suis contente pour eux.
C'est pourquoi il n'a toujours pas compris pour Tarik et moi. Personne n'est au courant sauf Nabil et Manël mais je pense que la plupart des gens du quartier s'en doutent.
- J'ai peur que Youss' comprenne pour nous, avouais-je.
- Je pense que je vais lui parler ce soir, dit-il simplement.
- Tu veux lui dire quoi?!
- Emna, toi et moi on sait que ça, dit-il en nous montrant du doigt, ça va pas rester un secret éternellement. Je vais voir Youssef comme un bonhomme et je vais lui dire que tu m'intéresses, continue-t-il en haussant les épaules.
- Toi t'es malade, dis-je en secouant la tête mais il ne me calcule pas et continue.
- Je vais le convaincre de me laisser sortir avec toi. Il va croire que ça va commencer que maintenant, alors que ça fait des mois qu'on se voit. Comme ça il va nous laisser tranquilles.
- C'est mort. Youssef va jamais te laisser m'approcher. Tu veux qu'il te tue?
- Laisse-moi faire, Youssef c'est mon pote. Je sais quoi dire.
- C'est ton pote mais tu baises sa sœur, me moquais-je.
- Et alors? Comme ça il deviendra mon beau-frère. C'est pour être plus proche de lui tout ça en fait.
On rigole et il m'embrasse, me faisant basculer sur le lit pour se mettre au-dessus de moi. On se fait interrompre par Nabil qui toque à la porte et qui ne se gêne pas pour entrer juste après. Il toque seulement pour nous prévenir de son arrivée...
- Yo Tarik t'es prêt ou quoi? Salut Emna!
Il fait semblant de se cacher les yeux par pudeur et son frère soupire avant de s'enlever de moi qui me couvre avec la couverture puisque je suis en sous-vêtements.
- Nabil tu casses les couilles, tu veux quoi?
- On doit y aller.
- Non, on y va vers 13h.
Ils débattent sur l'heure de partie et Nabil roule des yeux en me regardant, ce qui me fait pouffer. On s'est vraiment rapproché ces dernières semaines et il a fini par accepter notre relation avec Tarik. Il me traite un peu comme sa petite sœur et je suis très attachée à lui.
*
* *
Je vais me servir un verre de Coca dans la cuisine, j'essaie de ne pas commencer à boire. C'est assez paradoxale puisque je m'enfume les poumons à longueur de journée mais j'essaie de me mettre des limites quand même.
- Tu comptais me le dire quand? dit une voix qui me fait sursauter.
Je me retourne et je ne suis pas surprise de voir Youssef. J'ai vu Tarik lui demander d'aller parler sur le balcon plus tôt et je me doute bien qu'il lui a parlé de moi.
- Te dire quoi? dis-je en faisant l'idiote.
- Il se passe quelque chose entre Tarik et toi? demande-t-il calmement.
Je n'arrive pas à savoir s'il est énervé ou pas. Je ne réponds pas et je fixe mon frère pour tenter de cerner son humeur.
- Emna, t'étais une princesse. Je voulais que le meilleur pour toi, je voulais que tu finisses par avoir l'opportunité de partir étudier à Milan comme tu le souhaitais. Pas que tu finisses avec un mec qui a fait de la prison.
Son ton est triste. Il me voit comme Mariam à présent.
- Je veux plus te voir en sa présence, compris? Rentre à la maison, Manël t'attend vers la porte. Cette fois-ci, son ton est plus ferme.
- Je voulais pas te décevoir Youssef.
- Trop tard. Je sais que c'est pas d'ta faute tout ça... dit-il en soupirant. Toute notre famille t'a délaissée ces derniers mois donc je comprends que tu sois partie chercher du réconfort chez quelqu'un d'autre. Il marque une pause. J'aurais juste préféré que ça soit pas lui.
- Lui ou un autre, ça change quoi au final?
Son regard me glace le sang. Je ne saurais le décrire, il n'est pas vraiment énervé mais quelque chose dans ses yeux me fait peur.
- Il est pas allé en prison pour rien Emna. C'est pas qu'une histoire de bibi, y a des trucs dont il parle à personne et qui laissent croire qu'il a commis un meurtre qui a pas encore été découvert.
