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1 MAI 2022

LE MÊME JOUR

Il fixe ma clavicule et je comprends enfin pourquoi lorsque je me rappelle du mot que j'ai tatoué à cet endroit. Je passe mes doigts sur mon tatouage et il détourne le regard.

J'ai décidé de me faire belle ce soir, en même temps je ne pouvais pas venir dans ce restaurant habillée n'importe comment. Tarik m'a proposé de choisir l'endroit où on dîne puisque je connais mieux Milan que lui, donc j'ai réservé une table dans le restaurant le plus chic de la ville. J'y dîne souvent avec ma patronne donc j'ai pu obtenir une réservation à la dernière minute.

— T'es tatouée, remarque-t-il

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— T'es tatouée, remarque-t-il. J'avais pas vu aujourd'hui.
— Oui, je l'ai fait quelques mois après être arrivée à Milan.

Il hoche la tête. Je me suis fait tatouer « Jasmine », le surnom qu'il me donnait souvent. Il fait référence à ce surnom dans certains sons de PNL, c'est comme ça que je sais qu'il parle de moi. Il m'a toujours dit que je ressemblais à ce personnage de dessin animé.

Ce moment me paraît irréel, le voir en face de moi est très bizarre pour moi. Il est en face de moi mais il est si distant, il est si loin. Je ne peux en vouloir qu'à moi-même mais je ne peux m'empêcher d'être attristée par la situation.

Sur la table, mon téléphone vibre et le prénom de mon meilleur ami s'affiche sur l'écran. Un appel Facetime. Je décide de ne pas répondre et je croise le regard de Tarik pendant que je retourne mon téléphone sur la table.

— Emna... T'es sûre que t'as pas quelqu'un? Sa question sonne presque comme un reproche.
— Oui, sûre.
— C'est qui Mario?
— Mon collègue, fin surtout mon meilleur pote. Relation platonique.

Je ne sais pas pourquoi je me justifie auprès de lui, c'est lui qui est divorcé après tout.












*
* *










J'effleure son visage avec mes doigts et il ferme les yeux quelques secondes pendant que j'enlève le bout de fil qui s'était accroché à sa joue. Mes doigts sont tentés de tracer les traits de son visage et j'hésite à le faire mais je me retiens.

Il ouvre les yeux et il me sourit. Son regard vitreux parcoure mon corps et je sens une boule se former dans mon ventre. Si ses yeux me font un tel effet, je n'ose imaginer la sensation que ses mains pourraient me procurer après tant d'années.

— Emna, on devrait rentrer. T'es bourrée, constate-t-il.
— Quel rabat-joie.

Il se pourrait qu'il ait raison. On a bu du vin pendant le dîner et on a fini dans un bar, je ne me rappelle même plus du nombre de verres qu'on a commandés.

J'appelle le serveur et je lui tends ma carte bancaire pour payer nos consommations mais il sourit en me la rendant immédiatement. Tarik m'explique qu'on a déjà payé, j'en ai aucun souvenir.

— Allez hop! Il m'encourage à me lever.

Je me lève de ma chaise mais je manque de tomber par terre, heureusement Tarik me rattrape en tenant fermement mon bras. Il le place autour de son épaule et il prend mon sac avant de m'aider à marcher en dehors du bar.

— On prend un taxi? propose-t-il en voyant mon état.
— Non. Viens on marche.
— Jusqu'à chez toi? Il écarquille les yeux.
— Ouais, c'est pas si loin tu sais.

Alors que je m'attendais à ce qu'il me fasse la morale et refuse, il accepte et on marche dans la rue en se rappelant du bon vieux temps. J'en ai mal au ventre tellement je rigole, on était vraiment insouciants à l'époque et maintenant on a des responsabilités qui donnent mal à la tête.

Il me parle d'un des gars du quartier qui est en prison depuis bientôt 5 ans et moi je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à sa main sur ma taille. J'ai l'impression d'être un SDF et de mendier le moindre contact physique de sa part, je me réjouis de petits détails.

Après une dizaine de minutes de marche, je finis par m'y habituer et je marche toute seule. Je ne marche pas droit mais je tiens debout, c'est déjà ça.

Il sort un joint de sa poche et je déglutis en le voyant l'allumer. Je n'ai pas fumé depuis des années, être défoncée me rendait trop nostalgique et je finissais toujours par pleurer. J'en avais marre de me foutre la honte dans les soirées d'étudiants donc j'ai arrêté de fumer.

— Tu veux? demande-t-il en me tendant le joint.

Je hoche la tête et j'attrape le joint avant de le placer entre mes lèvres. Je tire dessus et je ferme les yeux pendant que ça commence à faire effet. Ça aussi, ça m'avait manqué.

Je trébuche en percutant une pierre avec mon escarpin et je manque de tomber tête la première mais Tarik me rattrape une seconde fois. Je ressens une étincelle et je me demande s'il l'a ressentie lui aussi. On s'arrête et il commence à fixer mes lèvres. Ce n'est pas une bonne idée. Je le lâche et ris nerveusement avant de lui rendre le joint.

— T'es heureuse? me demande-t-il après un moment de silence.

Je le regarde sans rien dire et je hausse les épaules.

— T'as quitté la France, t'as quitté ta famille, t'as quitté tes amis, tu m'as quitté moi. Il sourit tristement. T'as fini tes études et tu travailles chez Dior, t'as réussi ta vie. Il marque une pause. Mais est-ce que t'es heureuse? Ça en valait la peine?

Les larmes me montent aux yeux.

— J'ai tout ce dont j'ai toujours rêvé: j'ai fini mes études, j'ai un bon travail, je peux m'acheter ce que je veux mais il me manque toujours quelque chose. J'ai pas trouvé la pièce manquante.

J'ai bien peur qu'elle se trouve en face de moi, la pièce manquante. L'amour.

— J'ai rien de plus qu'avant, à part une vie aisée. Mais à quel prix?

Il me sourit et il hoche doucement la tête.

— Au final c'est quoi le bonheur? Je sais même pas. Comme tu dis j'ai tout ce dont je rêvais mais je ressens un manque immense.

Il est poétique, j'ai toujours admiré sa manière de penser et de s'exprimer. Il réfléchit toujours aux choses de façon poétique et il se pose tellement de questions... Je pense qu'être triste rend les gens poétiques. Sans cette tristesse, il n'aurait jamais pu devenir rappeur et manier les mots aussi bien.

— J'ai réussi à guérir mes blessures du passé avec le temps et l'argent. Y en a qu'une qui me brûle toujours la poitrine et j'arrive pas à la guérir.

Son regard se pose sur moi et je crois que je comprends sa douleur. On partage cette douleur depuis des années.

— Et j'me demande ce qui aurait pu se passer si je t'avais retenue 7 ans plus tôt.

PAS D'JASMINE POUR JAFAR - ADEMOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant