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30 JUIN 2014

Comme je m'en doutais, une violente dispute éclata entre Youssef et Manël deux jours après notre après-midi à Paris. Pendant que la palestinienne se changeait, mon frère a découvert le nouveau tatouage — en même temps, il ne passe pas inaperçu...

- J'arrive pas à te comprendre, Manël... Vraiment, j'arrive pas! hurle mon frère.
- Y a rien à comprendre, j'ai pas besoin de ta permission pour faire quoique ce soit avec mon corps! répond-elle toujours en soutien-gorge.
- Qui a parlé de permission? QUI?

Il crie si fort que j'en sursaute sur le canapé d'où je les écoute se disputer depuis maintenant dix minutes. La dispute n'a mené à rien pour l'instant.

Manël est têtue et même si je l'aime plus que tout, je dois avouer que je ne suis pas d'accord avec ce qu'elle a fait. Youssef, peu importe à quel point il aime la contrôler, ne se permettrait pas de l'empêcher de se faire tatouer. Il ne peut pas le faire d'ailleurs.
Je pense que tout ce qu'il voulait c'était simplement être au courant. Il a été surpris par cette découverte donc il a réagi sans réfléchir et maintenant ils se disputent comme jamais auparavant.

- Tu me rends ouf. T'sais quoi? J'en ai plus rien à foutre! Casse-toi d'ici! lui crache-t-il à la gueule.

Cette fois, je ne peux m'empêcher de m'en mêler.

- Euh par contre, elle va aller nulle part... Boudez chacun dans votre coin mais ça changera pas, Manël reste ici.

Ils me fusillent tous les deux du regard et ma meilleure amie hoche la tête.

- Non mais il a raison... dit-elle d'un air dégoûté. Ma mère est partie, je peux vivre chez moi. J'sais même pas pourquoi je suis revenue ici.

Je venais de la convaincre de revenir à la maison... Décidément, ces deux ne me rendent pas la vie facile!

Ils se tiennent très proches l'un de l'autre mais je peux voir à leurs regards qu'ils sont à des années-lumière.

Youssef agrandit la distance entre leurs corps en reculant et il finit par rire nerveusement avant de quitter le salon. On entend la porte d'entrée claquer peu après.

Je me lève du canapé à l'instant où Manël s'effondre sur le plancher du salon. Elle tombe sur ses genoux et elle se met à pleurer comme un bébé. Il est très rare qu'elle se montre aussi vulnérable alors je ne sais pas totalement comment réagir. Je la serre contre moi et je sens son corps trembler à cause de ses sanglots.

- Il va revenir, t'en fais pas. Il va fumer un coup et il va revenir. Il va pas te laisser comme ça, tu le sais! dis-je d'une voix douce.

En réalité, je ne suis moi-même pas convaincue par mes paroles. La déception mélangée à la colère ne sont jamais un bon signe et encore moins chez Youssef.

Elle s'éloigne légèrement de moi et elle plonge son regard marron dans le mien. J'y lis énormément de tristesse.

- J'ai merdé, Emna.

On se fixe pendant un moment avant de se mettre à rire, toutes les deux.

L'absence de son père et les nombreuses mésaventures qui lui sont arrivées dans sa vie ont créé un profond mépris — voire une haine — envers les hommes chez la palestinienne. Elle s'est persuadée qu'elle n'avait besoin d'aucun homme et elle refuse catégoriquement leur aide quelconque. C'est pourquoi elle a du mal à s'engager totalement avec Youssef, laissant constamment un fossé se creuser entre eux par son attitude glaciale.

Elle s'est forgé une armure autour de son cœur tout au long de sa vie et jusqu'ici, elle n'a laissé que très peu de personnes y entrer. Je suis une des rares privilégiées à avoir une place dans son cœur et elle essaie aujourd'hui de faire entrer Youssef mais ce n'est pas si facile, compte tenu de la distance qu'elle laisse entre eux.

- J'ai peur d'avoir tout gâché, dit-elle la voix tremblante.

Je la serre à nouveau contre moi, l'écrasant presque dans mes bras. Je dépose un baiser dans ses cheveux et je ferme les yeux quelques secondes pour profiter de ce contact physique.

- Il lâchera pas l'affaire aussi facilement, t'inquiète pas... dis-je en riant.

Elle se met à rire elle aussi et on se relève.

- Bon par contre je vais vraiment rentrer chez moi, c'était une bêtise de revenir.
- T'es folle? Tu vas nulle part!
- Non, vraiment.
- Youssef viendra te chercher, tu sais qu'il voudra que tu reviennes.
- Eh bien ça le fera réfléchir à ses paroles.

Je hoche la tête et j'accepte de la laisser rentrer chez elle malgré moi. Je l'aide donc à faire son sac et à transporter ses affaires jusqu'à son appartement. En bas de mon bâtiment, nous retrouvons Youssef et ses potes assis sur les escaliers. De la musique de merde résonne sur une enceinte et la fumée de leurs joints a formé un nuage au-dessus de leurs têtes.

Karim fixe les sacs entre nos mains et son regard se dirige vers Youssef qui nous ignore. Manël et moi les saluons tous avec un simple Salam qu'ils nous rendent et on trace notre route. On entend des chuchotements après notre passage mais on ne s'en soucie pas tellement.

*
*           *

Après avoir passé la soirée chez Manël, je décide de rentrer chez moi. Je descends doucement les escaliers, un peu dans la lune.

D'un coup, je me fais bousculer par quelqu'un qui passe à toute allure à côté de moi. J'insulte la personne que je n'ai même pas eu le temps de voir et je pose ma main sur mon épaule en grimaçant.

J'entends un rire derrière moi, je me retourne et souffle en voyant le mec qu'on surnomme "AdKhey" au quartier. Il est vraiment devenu mon ombre, il est partout où je suis.

- Excuse-le, il était pressé.
- Ouais, j'ai remarqué! dis-je en frottant mon épaule.

Il arrête de rire soudainement et il descend deux marches. Il me regarde, aucune émotion apparente sur le visage.

- Sur ce... dit-il avant de continuer son chemin dans les escaliers.

J'attends un peu avant de descendre à mon tour. Une fois dans le hall, j'aperçois Tarik serrer la main d'un gars qui sort aussitôt du bâtiment. Le maghrébin me lance un regard glacial lorsqu'il me voit et je sors tranquillement sans le calculer. Il me suit dehors.

- C'est du jugement que je devine dans ton regard? me demande-t-il sarcastiquement.

Je me retourne et je pouffe avant de pencher la tête sur le côté.

- J'comprends juste pas comment tu peux retourner là-dedans aussi vite alors que tu viens de sortir de 3 ans de prison.

Je suis tentée de lui faire une remarque sur le soir où on s'est rencontré mais je m'abstiens, pour cette fois.
Il rigole et il allume son joint avant de tirer dessus.

- Je le fais pour ma miff'. C'est facile de parler, mais tu crois que ton frère il fait quoi? me demande-t-il toujours en riant. Tu te nourris toi-même de son argent sale. La seule différence entre Youssef et moi c'est qu'il s'est pas encore fait prendre, me dit-il d'un ton sec.
- J'ai jamais prétendu que mon frère était un ange.

Je vois une lueur traverser ses yeux comme un éclair et il m'offre son sourire en coin habituel.

- Et toi? T'es un ange toi?

PAS D'JASMINE POUR JAFAR - ADEMOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant