Chapitre 3

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La psychologue regardait Jake, n'ayant pas prononcé un seul mot depuis qu'il avait franchi la porte de son bureau dix-sept minutes plus tôt. Chacun fixait l'autre, sans un mot. Ça ne dérangeait pas vraiment Jake, c'est une technique d'interrogatoire qu'il avait également utilisée. Il avait envie de lui dire que cela ne fonctionnerait pas, mais ainsi il serait le premier à parler, et donc à flancher. Il restait donc là, à la regarder, à l'étudier, ne regardant qu'elle, ne bougeant pas les yeux, que ce soit pour étudier son bureau vide de tout papier, sa bibliothèque d'où rien ne dépassait, où tout était rangé, cordé. La sonnerie d'un téléphone, celui de sa secrétaire, sonna deux coups, son oreille frémit une demi-seconde, mais son regard resta fixe. Mentalement, il comptait le temps qui passe, visualisant avancer la trotteuse d'une montre, puis bouger l'aiguille des minutes. C'est un truc qu'il avait appris jeune. Son calcul était quasiment parfait. À cinquante-sept minutes, il ouvrit la bouche, estimant que la réponse qu'il attendait ne prendrait pas plus de trois minutes.

— Pourquoi avoir voulu prendre mon dossier ? demanda-t-il, d'une voix posée.

La psychologue sourit, en le regardant.

— Parce que je sais qui vous êtes et que j'ai envie de vous aider. Cinquante-sept minutes douze. Bravo ! Je vous voyais aller jusqu'à trente minutes maximum.

— Mon dossier n'a pas dû vous apprendre grand-chose pourtant.

— Au contraire, il m'en a justement appris beaucoup à votre sujet. Alors, que faisons-nous ? Acceptez-vous que je vous prenne comme patient ?

— Vous m'intriguez. Très bien, Docteur Billings. Je vous suis.

— Alors nous nous verrons les mercredis à 17 h, cela vous convient ?

— Je dois voir avec mon employeur, si...

— Il est déjà d'accord.

— Et si j'avais refusé ? demanda-t-il d'une voix amusée.

— Vous n'auriez pas refusé, sinon j'aurais utilisé un argument qui vous aurait fait accepter. Je vous connais, Monsieur Handfield, plus que vous ne l'imaginez. Votre dossier n'a quasiment aucun secret pour moi.

— Vous travaillez avec le gouvernement ? demanda-t-il en fronçant les sourcils, vous avez une accréditation suffisamment élevée pour accéder à mon dossier ?

— Nous pourrons en discuter une prochaine fois, votre temps est écoulé. Dites-moi, où en êtes-vous avec votre médication ?

— Ça va, merci.

— Certain ? Avez-vous besoin que je renouvelle votre ordonnance ?

— Non, j'ai encore une demi-bouteille.

— S'il y a quoi que ce soit, tenez, mon numéro personnel est sur la carte. En cas de crise, des difficultés avec des réminiscences, je suis là. Compris ?

— Oui, mais ce n'est pas quelque chose que j'ai vraiment envie de partager.

— Je sais, j'en suis parfaitement consciente, Monsieur Handfield. Néanmoins, je suis là. Bonne journée Monsieur, souria-t-elle.

En refermant la porte derrière lui, tout en quittant le cabinet, Jake Handfield ne put s'empêcher de se retourner, se demandant qui était cette femme. Avait-elle un père militaire ? Un frère ou une sœur dans l'armée ? Elle semblait comprendre son passé et le lui avait avoué à demi-mot. Le fait que son dossier militaire soit quasiment intégralement caviardé signifiait qu'il avait été en mission dans des zones plus ou moins légales, qu'il avait participé à des choses que l'on préférait taire. Qu'il avait torturé et certainement tué pour obtenir des informations. La liste de ses décorations l'avait probablement impressionnée aussi, si seulement elle savait ce qu'il en faisait, elle serait découragée et chercherait à le psychanalyser immédiatement.

Fausse piste (WATTYS WINNER 2022)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant