Chapitre 7

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Jake se sent à nouveau projeté plusieurs mètres en arrière, le souffle coupé par l'explosion assourdissante, puis la douleur alors qu'il chutait lourdement au sol. Le temps sembla se figer, alors qu'il toussait pour reprendre son souffle, crachant le sable qu'il venait d'avaler. Des coups de feu fusent de partout, mais le son était étouffé par le sifflement dans ses oreilles, le bruit de sa propre respiration et des battements assourdissants de son cœur. Il pouvait encore sentir l'odeur du sable chaud, du sang, de la cordite. Reprenant ses esprits, Jake essaya de se relever, regardant les corps tomber autour de lui. Il se revoit haleter en récupérant son arme au sol, son souffle était brûlant. Mais il était vivant. Relevant son arme, il la pointait devant lui, avançant lentement, cherchant une cible parmi toutes les personnes qui fuyaient en hurlant.

Il se souvient de ce moment précis, ou est-ce son imagination, mais il avait soudain l'impression d'entendre le sable crisser sous ses rangers, tous ses sens étaient en éveil. Il se revoit serrer fermement son arme quand il distingue le RPG dépasser du capot d'une voiture. Pointant et tirant, Jake voit le RPG basculer en arrière. Courant au milieu des cris, des cadavres étalés sur le sol, certains démembrés, il contourna la voiture pour s'arrêter devant le corps qui respirait difficilement, sa poitrine se soulevant rapidement. C'est là, précisément là, qu'il en avait eu assez, qu'il voulait rentrer chez lui. Il voulait vivre. Il n'avait pas envie que tout s'arrête comme le corps qui, dans un ultime hoquet, s'affaissa sous ses yeux. Non, il n'avait pas envie de mourir comme ça. Celui qui tenait le RPG avait douze ans tout au plus, portant un tee-shirt d'une équipe de football, d'un joueur de foot, d'un numéro 10. Merde ! Le gosse aurait dû être en train de jouer au foot, pas se servir d'un lance-roquettes. Jake voulait rentrer chez lui, ne serait-ce que pour montrer à son père qu'il n'avait pas crevé là-bas comme il lui avait dit à leur dernière engueulade. Avant de lui coller une droite, en souvenir du bon vieux temps où il lui servait de défouloir, d'exutoire à la médiocrité de sa propre vie.

Le temps sembla reprendre son cours, quand un vieux pick-up Toyota tourna au coin de la rue, transportant des soldats ennemis. Jake se revoit ramasser le RPG, l'épauler, le déverrouiller, se redresser, viser et faire feu, faisant exploser le pick-up. Jetant le RPG au sol, il récupéra l'arme qu'il avait laissé tomber au sol et il fit feu sur la dernière poche de résistance ennemie. Son acte de bravoure lui valut la médaille d'honneur du congrès, et une silver star. Il lui rapporta surtout des cauchemars. À lui seul, il venait de tuer dix-huit personnes, dont trois enfants. Des combattants ennemis lui rappela-t-on. Des enfants restent des enfants ne cessait-il de se répéter. Retournant auprès de ses hommes, Jake se laissa tomber près d'Alex Carpenter, son ami depuis le camp d'entraînement, le sable sous son corps était imbibé de sang. Il appuyait aussi fort qu'il le pouvait sur la plaie en hurlant pour que le médecin arrive, même s'il savait pertinemment qu'il ne pourrait rien faire. Et lorsqu'il arriva enfin, il ne resta que deux secondes avant de partir tenter de sauver une autre vie. Alex n'était plus, mort dans ses bras.

Jake se réveilla en sueur, le souffle court, et il courut dans la salle de bain quand il sentit la bile monter.

La guerre.

Rien à l'entraînement ne prépare à ce que les soldats vivent en zone de guerre. La littérature, le cinéma ne montrent qu'une vision édulcorée, romancée de la réalité. Il n'y a rien qui prépare réellement à faire face à un enfant de dix ans, qui ne voit en face de lui qu'un envahisseur de plus. Depuis des années les États-Unis s'ingèrent dans la politique d'autres pays, tentant d'y apporter la démocratie alors qu'ils ne sont même pas capables de la faire respecter chez eux. Jake se supporte plus cette attitude de donneur des leçons aux autres alors que c'est la merde dans son propre pays. Ils détruisent des familles sous des prétextes, des mensonges. Ils accusent des nations de terrorisme sans se regarder dans un miroir. Et après, les Américains se demandent naïvement pourquoi ils sont haïs dans le monde. C'est honteux. Sur les 245 années d'existence du pays, L'Amérique a été en paix 20 ans. Le reste du temps, l'Amérique a attaqué, bombardé, envahi. C'est une nation belliqueuse. Jake en était là, finissant de se rincer la bouche quand il prit son téléphone.

Fausse piste (WATTYS WINNER 2022)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant