Chapitre 5

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Jake comprit rapidement que la surveillance d'entrepôts était une part importante des clients de SecureMax. Du particulier aux entreprises, tout le monde s'en sert, pour des raisons des plus valables comme le manque de place, aux raisons les plus personnelles comme garder dans un lieu confidentiel des documents... ou autre. Le contenu lui importait peu, il faisait le tour, intérieur comme extérieur, notait ses rondes, sans plus. Pour rompre avec la monotonie et les habitudes, il tournait sur plusieurs sites, afin de varier le plaisir comme l'indiquait leur planning. Jake pensait que prendre les quarts de soir lui permettrait d'être tranquille. Erreur de débutant. La faune nocturne est des plus étranges. Entre ceux qui viennent voir leurs unités, comme s'ils y cachaient des plans secrets, ceux qui s'en servent comme cave et en ressortent les mains chargées de bouteilles, voir les dégustent sur place, ayant vu de ses propres yeux l'un d'eux, installé dans un fauteuil, verre à la main, un autre utilisant son unité pour coucher avec des invités.es. La discrétion n'étant pas de mise. Et à l'extérieur, ce sont les sans-domiciles qui cherchent un coin pour s'installer pour la nuit. Jake se demandait à quoi ressemblaient les quarts de jour, s'ils étaient plus calmes.

Son travail lui laissait du temps pour se reprendre en main, réfléchir à ses options dans la vie, penser à ce qu'il avait envie de faire. Vivre décalé du monde lui plaisait pour le moment bien que ce n'était pas donné à tout le monde. Il rentrait chez lui à sept heures du matin alors que la plupart en sortaient. La femme qui gérait son lieu de résidence, Kari-Ann Harnett, l'accueillait avec un solide déjeuner et faisait le moins de bruits possible, le laissant dormir. Leur première rencontre ne se passa pas comme il l'avait prévu, ne sachant pas à quoi s'attendre comme logement. S'il avait imaginé un appartement tout ce qu'il y a de classique, se retrouver dans une maison le surprit. Kari-Ann lui expliqua qu'il devait l'envisager comme un Bed & Breakfast, rien de plus. Il n'y avait pas beaucoup de locataires, ce qui lui convenait, n'ayant pas envie de discuter avec d'autres personnes. Il fallut quelques jours à Jake pour commencer à apprécier l'atmosphère de la maison, et il devait admettre qu'il s'y sentait bien. Le petit déjeuner le rendait heureux, mais il cachait ce sentiment derrière un merci toujours un peu bourru, mais son sourire quand il mangeait ne trompait pas Kari-Ann. Celle-ci avait un fils de sept ans, Cody, qui s'installait dans un coin de la salle à manger et prenait son petit déjeuner en fixant Jake avant d'aller à l'école. Il ne disait rien, mangeant ses céréales sans le lâcher des yeux. Kari-Ann essayait d'éviter qu'il dérange les locataires, le faisant manger dans la cuisine ou dans la partie de la maison qui leur était réservée, mais il ne pouvait pas s'empêcher de prendre son petit déjeuner en même temps que Jake. Il ne pouvait s'empêcher d'entendre Kari-Ann parler à son fils quand il rentrait de l'école, de ses mauvais résultats et surtout des problèmes qu'il s'attirait. Jake l'aimait bien le petit, Cody, car il lui ressemblait à son âge. Si lui avait un père violent, Cody compensait l'absence du sien en faisant des conneries.

Jake logeait chez Kari-Ann depuis près d'un mois quand Cody arriva en courant à la maison et tomba avant d'atteindre le porche. Jake était installé dans le canapé près d'une fenêtre pour écrire, comme lui avait conseillé le psy de la prison, couchant sur le papier les rêves qu'il faisait la nuit, ses crises d'angoisses. Ça l'aidait, parfois. Il regarda Cody se relever, le tee-shirt déchiré, la lèvre fendue. Il posa son carnet à plat quand il entendit les cris d'adolescent ayant poursuivi Cody jusqu'à la maison.

— Alors, petit merdeux ! Nous, on n'en a pas fini avec toi !

— Je crois que si, intervint Jake, en sortant sur le porche.

Kari-Ann arriva en courant, entendant les cris, et paniqua en voyant l'état de son fils. Ce dernier entra dans la maison sous les moqueries des adolescents quand Jake descendit les marches et s'approcha.

— Monsieur Handfield, non ! supplia Kari-Ann, ayant peur que son locataire soit blessé par les six adolescents qui se mirent à l'encercler.

— C'est toi qui vas payer pour lui ? Il nous doit un dollar par trajet qu'il effectue sur notre territoire. Avec les intérêts, c'est vingt dollars, dit l'un d'entre eux en tendant la main, sous les rires de ses amis. Si tu ne payes pas. On va devoir lui expliquer ce qu'il se passe et à toi aussi.

Le coup de poing partit, fulgurant, envoyant au tapis le raquetteur. Sonné. Deux de ses amis attaquèrent en même temps, pendant que les autres, moins sûr d'eux restaient en retrait, Jake frappa à nouveau, esquivant facilement un coup de poing maladroit et l'attrapa au vol pour retourner le bras dans le dos de son agresseur tout en le frappant dans le dos de son autre poing. Son pied atterrit dans le ventre de l'autre raquetteur, le mettant à genoux. Une voiture de police passant dans le quartier arriva, et Jake se voyait déjà repartir en prison. Kari-Ann intervint au moment où les policiers approchaient de Jake qui tenait toujours un des agresseurs le bras dans le dos, couinant comme un porcelet. Cody expliqua qu'il se faisait agresser et racketter depuis des semaines sur le chemin de l'école par cette bande. Jake lâcha l'agresseur pour qu'un policier lui passe les menottes tandis que son collègue s'occupait de celui qui se tenait le ventre. Les autres adolescents avaient disparu, ce qui ne rassura pas Jake quant à d'éventuelles représailles contre Cody, Kari-Ann ou sa maison. Lui, il était capable de se défendre. Le policier donna sa carte à Jake, lui demandant de passer au poste faire une déposition, et fit la même demande à Kari-Ann et son fils Cody. Il savait déjà qu'il allait s'attirer des ennuis, et sans un regard pour sa logeuse et son fils, Jake rentra pour ramasser son carnet et téléphoner à sa contrôleuse judiciaire. Il espérait qu'elle serait compréhensive bien que côté discrétion, c'était raté.

— Bonjour, Madame Dunn, c'est Jake Handfield, dit-il en refermant la porte de sa chambre en s'asseyant dans le fauteuil placé près de la fenêtre.

— Déjà ? Vous n'avez pas perdu de temps, dites-moi. Dites-moi ce qu'il s'est passé.

Jake raconta fidèlement les événements qui venaient de se produire et le fait que Cody était racketté depuis un moment et qu'il avait été poursuivi jusqu'à son domicile. Jake ne pouvait pas laisser un enfant de sept ans se faire tabasser par des adolescents devant sa maison, devant sa mère et devant lui. Intervenir était justifié. Jake tenta d'arrondir les angles en disant qu'il avait été mesuré dans sa réaction, ne blessant personne. Mais, bien que la police ait arrêté les agresseurs, il devait faire une déposition.

— Donnez-moi le nom et le numéro de l'agent, je vais lui parler. Vous étiez en cas de légitime défense, vous ne risquez rien, Monsieur Handfield. Aucune incidence sur votre casier, je vous le garantis. J'aurais une suggestion, mais j'ai l'impression que peu importe ce que je dirais, ça n'y changera rien. Évitez les problèmes. Vous avez bien agi une fois de plus, vous êtes un bon samaritain, défenseur de la veuve et de l'orphelin, mais réfléchissez aux conséquences avant d'intervenir dans une quelconque situation, s'il vous plaît. Bonne journée Monsieur Handfield, dit-elle en raccrochant.

Regardant l'heure, Jake prit ses affaires et sortit de sa chambre. Descendant les escaliers, il faillit percuter sa logeuse qui l'attendait au coin, près de la porte, faisant soupirer Jake.

— Ce n'est pas nécessaire Madame Harnett. N'importe qui serait intervenu.

— Il n'y avait que vous, Monsieur Handfield, vous seul êtes intervenu. Allez-vous avoir des ennuis avec la police ?

— Ça ne devrait pas.

— Je suis soulagée. Je vous remercie et vous souhaite une bonne soirée. Je vous revois demain matin pour le petit déjeuner.

— Merci, Madame. Bonne soirée. Dites à votre fils d'être prudent, les amis de ceux qui ont été arrêtés pourraient vouloir se venger.

— Ce serait stupide de leur part, la police saura faire le lien, forcément.

— Il ne faut jamais sous-estimer la stupidité. Soyez prudente vous aussi, dit-il en refermant la porte derrière lui.

Fausse piste (WATTYS WINNER 2022)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant