Fausse piste (WATTYS WINNER 2022)

Chapitre 9

Jake regardait le fourgon depuis les caméras sans y prêter plus attention, étant habitué aux visites nocturnes. Il mangeait en écoutant de la musique, une station qui diffusait uniquement du blues. Son cerveau enregistra que le chauffeur se tenait systématiquement de dos sur les angles des caméras, que la casquette sur sa tête était inclinée de façon à masquer son visage en tout temps. Il avait reçu un mémo de son employeur concernant un incident qui se serait produit dans l'entrepôt d'un concurrent. La police demandait de les informer si des allées et venues suspectes se produisaient dans les entrepôts.

— Des allées et venues suspectes, ricana son patron. C'est quasiment notre fonds de commerce.

Lorsque le conducteur ouvrit les portes arrière et, approchant un chariot, descendit ce qui ressemblait à un long sac noir, Jake devint plus attentif. Par acquit de conscience, il finit sa bouchée, rangea sa boîte à lunch et se mit en route pour faire une ronde poussée. Il avait assez vu de housse mortuaire pour en reconnaître une quand il la voyait. Ce n'est pas le genre de sac que l'on oublie. Marchant sans faire de bruit, il était à l'affût du moindre bruit permettant de lui indiquer une direction, ou un étage. Le bruit d'une porte que l'on soulève le fait s'arrêter, puis tendre l'oreille. Accélérant le pas tout en restant discret, Jake traversa un couloir, monta quelques marches, s'arrêta, écoutant, tourna et se déplaça sans faire de bruit, le sol n'étant que des plaques métalliques. Le moindre bruit indiquerait sa présence. Et ce qu'il essayait d'empêcher arriva. Il n'avait pas vu les billes de verre déposées sur les marches en acier galvanisé. Lorsqu'elles tombèrent avec fracas sur le métal, Jake entendit son invité nocturne partir en courant, le temps qu'il arrive devant l'unité de stockage et qu'il ralentisse pour voir le sac mortuaire ouvert, il perdit de précieuses secondes. Accélérant pour rejoindre le quai de chargement, il aperçut le conducteur monter, démarrer et partir dans un crissement de pneus.

Retournant à l'unité de stockage, Jake resta au dehors, observant. Reniflant, il reconnut l'odeur de l'ammoniac. Le sac était ouvert et une main dépassait. Il avait vu plus de cadavres que le commun des mortels en verrait dans sa vie, et il savait pertinemment ce qu'il avait sous les yeux. S'emparant de son téléphone, il contacta le 911, parlant aux urgences tout en retournant à son poste pour appeler son boss depuis la ligne fixe. Il ne fallut pas longtemps pour que les premiers gyrophares et les sirènes se fassent voir et entendre.

Un Lieutenant se présenta puis donna ses ordres avant de demander à Jake de lui montrer l'unité de stockage. Tout en marchant, celui-ci lui demandait de lui raconter exactement ce qu'il avait vu. Le Lieutenant écoutait Jake lui faire un débriefing dans les règles, avec une précision militaire, lui racontant l'erreur des billes sur les marches, lui montrant l'endroit exact où elles étaient. Jake était surpris de voir le Lieutenant rester à l'extérieur de l'unité, se penchant simplement, sans franchir la ligne imaginaire de l'entrée. Plus étonnant encore, il se poussa en entendant des pas arriver. La démarche caractéristique de quelques qui porte un poids sur un côté du corps. Jake ferma les yeux, écoutant la cadence du pas. Une femme.

— Bonsoir Tom, dit-elle en souriant, ignorant complètement Jake. Si nous continuons à nous voir comme ça, ça va jaser, sourit-elle.

— Kelly, je vous présente Monsieur Jake Handfield. Notre témoin. Il a interrompu notre homme.

— Monsieur Handfield. J'aurais des questions pour vous dans quelques minutes, si cela ne vous dérange pas d'attendre.

Il regardait la femme aux cheveux noirs, coupés courts, qui semblait avoir été sortie du lit. Ses yeux bleus le fixaient, intensément.

— Pas du tout, Kelly.

Kelly sourit, en l'entendant prononcer son prénom. La voix grave, mais au ton étrangement doux, avec une certaine langueur donnait envie à Kelly d'écouter Jake même s'il n'avait rien à dire. Elle se détourna et entra dans l'unité, le Lieutenant, lui, restait à l'extérieur.