Chapitre 3 : Humeur noire

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Le lendemain, après une grasse matinée pour me remettre de cette nuit mouvementée, je mis le peu de dignité qu'il me restait de côté et décidai d'envoyer un message à Emery. J'avais eu le temps de repenser aux paroles de Jacob, sur lui et Quill s'inquiétant pour leur ami. Pas découragée par le fait de ne pas avoir son numéro de téléphone, j'ouvris Instagram et tapait dans notre conversation. « Salut, je voulais juste m'assurer que tout va bien. J'espère que tu n'es pas parti pour une raison grave hier...ni à cause de moi, si j'ai fait quelque qui t'a déplu tu peux me le dire. » J'aurais sûrement dû m'abstenir, histoire de m'éviter la deuxième douche froide que fut l'absence totale de réponse. Mais, c'était tout moi, de m'inquiéter, d'insister pour avoir des réponses, sans lesquelles les questions tournaient en boucle dans mon crâne. Et puis, j'aimais vraiment bien ce garçon. Durant l'été, il s'était montré si drôle, fort et doux à la fois, attentionné aussi, et si beau ! De nature timide, sa joie de vivre irradiait toutefois, et nous avions échangé bon nombre de blagues taquines et regards révélateurs du courant qui passait entre nous. J'avais cru percevoir encore cette électricité la veille, je m'étais bien plantée, car il avait visiblement changé d'avis à mon sujet. Si tant est que je ne m'étais pas carrément fait des films depuis le début et que je ne lui avais jamais réellement plus.

Bref, à moitié en gueule de bois et à broyer du noir toute la journée du dimanche, j'entamais la semaine du mauvais pied. Le lundi passa comme un lundi (un lundi de Forks, qui plus est) : lentement et dans un brouillard gris. Je reçus un message de Jacob, qui venait aux nouvelles. « Alors, d'attaque pour les cours aujourd'hui ? T'as fini par boire une sacré dose ce week-end ! ». Ce qui n'améliora en rien mon humeur. D'une, quand lui avais-je passé mon numéro ? Ne pas m'en rappeler me fit prendre conscience de la quantité peu raisonnable d'alcool que j'avais effectivement dû ingurgiter le samedi. De deux, je me mis à culpabiliser car, si je lui avais donné, c'est que je m'étais, dans mon ivresse, au moins légèrement servie de lui pour sortir Emery de mes pensées. J'agissait parfois de façon si stupide, et mon cerveau qui tentait de ressasser une bêtise dont le souvenir lui échappait était pour le moins agaçant.


Je pris conscience le mardi que j'avais un peu compté sur le fait de revoir Edward pour me réjouir. La simple idée d'en apprendre plus sur lui, d'enfin lui poser les questions que je n'avais pas osé lui retourner devant Alice et Jasper, me divertissait. C'était sans compter sur son humeur à lui. Dès son entrée dans la salle de classe, une aura sombre sembla l'entourer. Il s'assit au bord de son tabouret, mettant le plus distance possible entre nous. Je choisi de le laisser tranquille, n'ayant pas alors la force d'encourager plus d'interactions sociales que nécessaire. Mais, il débarqua avec la même allure le lendemain, et je n'y tins plus. D'avance peu convaincue du résultat, je tentai tout de même de le saluer. Il ne m'accorda guère plus que le même hochement de menton que Jasper le vendredi précédent, et sans déraidir l'ensemble des muscles de son corps. Et rebelote le vendredi. Bien loin de s'intéresser autant à moi qu'au départ, il m'ignorait totalement, ce qui eut le don de finir par attiser ma curiosité. J'observai alors que cette impression sombre qu'il traînait ne venait pas uniquement de son attitude. Ses yeux, que j'avais bien vu d'or brillant, étaient devenus deux billes noires, et étaient maintenant cernés d'un arc mauve. Plus étrange encore, je le remarquai soudainement, son frère et sa soeur affichaient le même état.


J'en fis des cauchemars ce week-end là. Dans l'un d'eux, un soleil éclatant disparut subitement pour ne laisser place à un immense trou noir par lequel je me faisais aspirer, frissonnante de froid. Je me réveillai avec la chair de poule, d'autant que l'air de l'automne se faisait déjà vif à Forks. D'ailleurs, pour ne pas me laisser enterrée par la déprime hivernale cette année, j'avais décidé que, seize ans et détentrice du permis de conduire, j'allais travailler. J'avais donc, il y a deux week-end de cela, entreprit un tour des commerces et autres établissements de Forks, lettre de motivation en main. La gérante du petit restaurant du bord de la nationale m'avait rappelé pour me proposer un poste de serveuse. Je devais effectuer mon premier service ce samedi midi-là, et me forçai donc à sortir du lit, m'habiller et maquiller mes cernes, avant de partir pour mon nouveau travail. Myriam, la gérante, m'accueillit avec un sourire. Elle semblait contente d'avoir du renfort pour quelques services par semaine, notamment les déjeuners du week-end. Elle commença rapidement à m'expliquer une multitude de choses - où était rangé ceci, comment utiliser cela, quoi dire ou ne jamais dire aux clients - et à observer mes premières démonstrations. Je croisai quelques têtes connues qui se montrèrent encourageantes, le shérif Swan notamment. Il jura que c'était incroyable que j'ai grandi si vite, et qu'il ne voyait décidément pas filer les années, car j'avais le même âge que sa fille Isabella. Il me fit de la peine. Tout le monde connaissait l'histoire de son divorce, et de comment cela le séparait de sa fille la majeure partie du temps. Je rentrai épuisée, mais la journée n'avait pas été horrible. Les difficultés venaient surtout de la mémoire, et une fois les gestes intégrés je pensais pouvoir bien m'en sortir. L'avantage, c'est que je dormis comme un bébé. Ce qui ne fonctionna qu'une nuit. Le lendemain, malgré le service chargé que j'avais affronté le midi, je devins anxieuse à l'idée de me rasseoir à côté du bloc de marbre qu'était devenu Edward, et ressassais dans le même temps le fait qu'Emery m'ignorait maintenant depuis une semaine complète. Je ne pouvais m'empêcher de croire que quelque chose de pas net se cachait derrière ce comportement, plutôt que de le considérer simplement comme un beau salaud.

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