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Il monta dans le métro de la ligne 9, direction Marie de Montreuil, au hasard.

Le métro était vieux, et, comme la plupart, sale. Les gens passaient. Certains puaient, d'autres transpiraient, il resta assit une vingtaine de minute avant de descendre, lassé, à Oberkampf.

Il faisait beau. Il avait une veste noire. Le printemps touchait à sa fin, laissant pour cadeau d'au revoir une brise froide légère.

C'était un beau quartier, le 11e arrondissement de Paris. Il y avait des bars, et, des arbres qui faisait de l'ombre. Il marcha et décida de se poser sur un banc. Il se mit à observer ce qu'il voyait.

Des gens promenaient leurs chiens, d'autres se baladaient en amoureux. Les vélos passaient sur la route, les voitures s'arrêtaient aux feux. C'était le petit côté romantique de Paris.

Les bars se mirent à recevoir du monde. Il était près de 16 heures. Les gens arrivaient en groupe, gaiement, commandaient des verres de bière et des cocktails alcoolisés, parlaient pendant une heure, puis s'en allaient et un autre groupe prenait la place.

Les serveurs faisaient des allez-retours entre les tables, se faufilant, tenant plusieurs verres et plats.

Le bar qui était en face de son banc était animé de monde. Il s'appelait « Au verre perdu ». Original, comme nom pensa-t'il.

Observer les gens le tenait occupé. Il étudiait leur visages, réflexe d'artiste. Ses yeux analysaient chaque personne qu'il voyait. Il devait sûrement passer pour un fou, mais personne ne prêtait attention à lui. Les parisiens, quand ils ne ralaient pas, vivaient.

C'est alors qu'une nouvelle personne entra dans ce petit théâtre. Une serveuse.
A l'inverse des autres, ses gestes étaient maladroits.
Elle avait de longues tresses fines et noires qui semblaient la gêner. Elle tenaient les verres sur un plateau bancal. Son teint, noir, était terne. Son visage était joli. Elle avait des cernes, des lèvres rosées et brillantes. Du gloss.

Il la regarda plus longtemps que les autres. Il était loin, mais pouvait étudier son visage. Ses traits étaient intriguants.

Sans s'en rendre compte, il sorti son cahier à dessin. Ce visage. Il se devait de le dessiner.

Les secondes, les minutes puis une heure passa. Il était absorbé dans la reconstruction de ce visage. Il dessinait les tresses, les yeux, les lèvres qui avaient captivé son attention. Les coups de crayons ne lui avait jamais paru si apaisants, satisfaisants. Il était non seulement concentré, mais il appréciait, il savourait chaque noirceur qu'il déposait sur la feuille de son cahier.

Il réalisa alors qu'il venait de finir qu'il faisait nuit. Le bar était vide ; elle était partie. Combien de temps était-il resté ici ?

Il referma son cahier sans même regarder son œuvre. Il avait des appels manques de Marie Louise et Oumar sur son téléphone. Mince.

Il s'empressa de rentrer dans le métro et de regagner l'immeuble du 16eme.

A son retour, alors qu'il ouvrit la porte, Marie Louise fut surprise. Elle lui sourit gentillement, lui demandant où est ce qu'il s'était rendu.

-Je suis allée me balader, dit-il avec enthousiasme.

Victor semblait différent. Il l'était. Sa voix n'avait jamais sonnée aussi expressive et surtout, joyeuse.
Lui même, voyait le monde d'un autre œil. La vie qui lui semblait être si ennuyeuse et morose, lui semblait belle, attirante et lui donnait envie de plus.

Ce soir, au repas, il n'avait jamais été aussi bavard. On le surpris même à faire quelques blagues. Marie Louise, seule avec lui, était contente de ce changement.

Après avoir débarrassé et nettoyé, il se précipita dans sa chambre afin d'ouvrir son cahier à la dernière page utilisée.
C'était approximatif, mais on reconnaissait les traits de la jeune femme qu'il avait aperçu.

Se rendant dans la salle de musculation-peinture, il esquissa rapidement le portrait grandeur nature sur une toile. Il prépara ses couleurs, du brun pour la peau de la jeune femme, du noir pour ses tresses, du bleu pour les sous ton neutres à froid de sa carnation, du rouge mélangé à du brun pour ses lèvres, du blanc, bref, il faisait toutes ces préparations avec une aisance que lui même ne se connaissait pas, lui qui avait tant de mal à utiliser les couleurs, spécialement celles de la peau.

Il nettoya ses pinceaux avant de se mettre au travail. Un travail qui lui prit toute la nuit. Il vit le soleil se lever, puis monter haut dans le ciel. Il peignait. Il se sentait vivre, il sentait monter en lui quelque chose que jamais il n'avait ressenti avant. Même si son croquis n'était pas précis, il se souvenait de cette femme, et en pensant à elle, il faisait valser les couleurs sur la toile, les harmonisait, les rendaient plus belles, il créait son art, arrivé à maturité.

Personne n'était entré dans la pièce, pour son plaisir. Marie devait sûrement être allée au travail, Oumar était en cours, Ali était dans son restaurant. Il peint jusqu'au soir. Il n'avait rien avalé de la journée, pourtant, il se sentait merveilleusement bien.

Une fois son portait terminé, il alla prendre une douche. Une douche longue et relaxante. Il se sentait bien dans son corps d'artiste.

En sortant de la douche, il s'essuya les jambes avec une serviette, ainsi que son cou, et ses cheveux longs, qui, à l'eau, avaient tendance à onduler. Il les laissa tomber sur ses épaules, enfila son pyjama et sorti de la salle de bain.

Il tomba nez à nez avec Ali et Marie Louise qui le regardaient avec un drôle d'air.

-Victor ? Demanda-t'elle avec une drôle de voix.

-Oui ?

Elle tourna son visage vers la salle de musculation.

-Tu sais d'où vient le tableau de la jeune fille dans la salle ?

Victor ne dit rien, avant de barbouiller, gené.

-C'est moi, je l'ai fais sur un coup de tête mais je vais m'en débarrasser.

Marie Louise ne dit rien à son tour, regardant son mari, qui restait silencieux. Mr. Sy avoua :

-Ce tableau est magnifique. Nous sommes surpris.

Victor resta cloué sur place. Magnifique ? Son tableau ? Surpris ?

Il se rendit alors dans la salle et, observa pour la première fois son chez d'œuvre.

C'était un portrait d'une jeune femme à la peau foncée, ses longues tresses noirs tombaient sur le côté, et ornaient son visage. Son expression était indescriptible mais envoûtante. Son regard était profond. Une étincelle particulière et mystérieuse brillait dans ses pupilles noires. Ses joues, sa mâchoire, tout était en harmonie. On avait l'impression de pouvoir sentir sa chair si on touchait le tableau, tant le grain de peau avait été réalisé à la perfection.

Elle semblait être devant une fenêtre décorée de roses pâles et de lys. Au dehors, il faisait beau et jour.
Ce style était purement romantique, visé à représenter la beauté dans sa forme la plus pure, la plus gracieuse.

Oui, il réalisa que tante Marie-Louise et M. Sy avaient raison. Son portrait était magnifique. C'était un chez d'œuvre. Tout était en harmonie, et à la perfection.

Quelque chose d'anormal était en train d'avoir lieu. Victor avait éveillé son âme d'artiste. Il était talentueux, il le savait. Il le savait, mais il ne réalisait pas encore à quel point.

Marie Louise posa une main sur son épaule.

Il sourit intérieurement. Il était prêt à dessiner le monde entier.

Le culte de la beauté et de l'artOù les histoires vivent. Découvrez maintenant