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Avant d'envoyer son œuvre au célèbre musée du Louvres, Victor en avait réalisé une copie grandeur nature chez un imprimeur, qu'il avait accroché dans son salon. Certaines fois, il s'arrêtait pour observer la femme imprimée sur du papier, plusieurs minutes, dans ce paysage nuageux et intrigant, avec ses couleurs froides.

Il contemplait cette femme reproduite a la perfection, le moindre centimètre respecté. Il se mit a l'admirer, à la désirer elle aussi, et a souhaiter qu'elle sorte de la toile pour l'embrasser, et le couvrir de milles caresses. Oui, il espérait qu'elle devienne réelle.

Certaines fois, il sentait le regard de Victoire sur lui, cherchant désespérément une attention, un mot quelconque. Cependant, Victor restait attaché à cette image fantastique qu'il avait créé à partir d'elle, et qu'elle ne pourrait pas être. Il l'avait, sur sa toile, transformée en Venus dans une Olympe sombre mais à la fois envoûtante. Il avait créé une fantaisie et s'était emparée d'elle, oubliant sa racine réelle, Victoire.

Oui, c'était Victoire sur ce tableau, sa pose, sa peau noire, son visage, ses tresses obscures. Cependant, il était plus attachée à cette femme imaginaire qu'à elle. Pourquoi ? Au fond, il le savait. Parce qu'il l'avait créé de ses mains. Il avait le pouvoir sur elle, il l'avait façonné, comme Dieu avait façonné Victoire. De ce fait, il l'aimait plus, parce qu'elle lui appartenait, posée sur son coquillage.

Pourquoi lui aussi ne pouvait façonner le monde ? Pourquoi n'avait il pas le privilège de créer ? Quelle chance avait Dieu, en artiste, de pouvoir assembler, créer des êtres unique, exprimer son génie dans l'univers ! Lui, ne devait se contenter que d'une toile, et de quelques millilitres de peinture à huile. Cela le frustrait.

Cela le frustrait également de savoir qu'il n'avait pas créé Victoire. Que c'était sa muse, un objet d'art, mais qu'il ne pouvait pas dire que c'était son œuvre. Victoire était devenue une œuvre vivante. Elle posait comme une statue, reflétait la lumière telle une peinture, et ses imperfections, ses quelques boutons, les légères taches foncées sur sa peau, chaque détail, faisait qu'elle était plus complexe, plus irrégulière, et qu'on ne se lassait jamais de la peindre, de reproduire chaque spécificité.

Il senti qu'il la délaissait, cependant, son orgueil sentait qu'il ne pouvait revenir. Il se contenait d'accepter une création en dessin. Victoire aplatie sur une feuille.

Dans sa mélancolie, il se mit à relire la Genèse, premier chapitre de la Bible, en boucle. Comment Dieu, en 7 jours, avait façonné le monde ? Comment de ses mains divines, avait-il pu créer la beauté pure et dure ? La beauté de tous les êtres, de toutes les couleurs ?

Certaines fois, fermant les yeux, il s'imaginait au millieu du jardin d'Eden, maison d'Eve, et d'Adam, entouré de couleurs, de végétation splendide. Si il ne pouvait le faire dans le monde réel, il le ferait sur une toile.

Un samedi, il trouva Victoire dans le salon, après son sport, assise sur le tapis. Ses cheveux étaient attachés, sur son front perlait quelques goutes de sueurs.

-Va te laver et viens dans mon atelier, ordonna-t'il sèchement.

Elle leva son regard doux vers lui.

-Daccord, Victor.

Il se mit a la peindre, nue encore, légèrement de profil, dans un jardin d'Eden aux tons froids et verts. mais aux éclats rouges vifs, des fleurs. Il la dessina telle une Ève sensuelle, de dos, on voyait ses fesses sur lesquelles pendaient ses tresses, puis, de côté, le bout de son sein droit. Cela dura plusieurs jours avant qu'il eut terminé. Le tableau était magnifique, beaucoup moins large et grand que celui de la Venus, mais tout de même splendide.

Le lendemain, il fut accroché un mur du salon, un peu plus à droite que l'affiche de la Vénus, au dessus du canapé blanc et doux.

Sa béatitude artistique ayant fait son retour, il recommença à aimer Victoire et ils firent l'amour passionnément.

Le jours de septembre passaient lentement. Certains étaient ensoleillés, s'accrochant avec désespoir à l'été qui s'en allait, et d'autres, nuageux et pluvieux, embrassaient avec tristesse l'automne non désiré qui approchait.

Victor s'ennuyait. Il passait la majorité de son temps chez lui, à lire, ou sinon, à se remémorer les douleurs du décès de son père. Ce n'était pas bon signe. Il devait se tenir occupé, pour ne pas penser au deuil encore trop récent, d'autant plus que Victoire passait la majorité à l'université.

Il se rendit compte que hormis la famille Sy, il n'avait aucune relation à Paris. Il était seul, seul avec sa muse dont la conversation était maigre. Il attendait donc le 26 septembre avec enthousiasme.

Victoire, quant à elle, avait secrètement repris contact avec Charlotte lorsque Victor avait recommencé à l'ignorer. Elle l'avait informé que ce dernier allait se faire exploser au Louvres. Charlotte ne manquait pas de lui dire qu'elle lui manquait, et qu'elle pensait sans cesse à elle. Victoire, flattée, lisait ses messages avec un sourire aux lèvres.

Alors que Victor avait cessé d'être distant, elle ne répondit presque plus aux messages de Charlotte qu'il encore une fois, ne comprenait pas l'attitude de Victoire. Cependant, folle amoureuse, elle acceptait et souffrait en silence, a Londres.

Certaines fois, Victor venait la chercher après ses cours, et ils se baladaient, marchant simplement dans Paris. Il ne manquait pas d'observer qu'on la regardait. Partout où ils se rendaient, les yeux étaient posés sur elle, et elle marchait sans même s'en rendre compte.

Un sentiment étrange, encore une fois, commençait par le consumer. Etait-ce de la jalousie ? Oui, bien sûr, sauf que cette fois ci, il la jalousait elle, et l'attention qu'elle créait autour d'elle. Sans même s'en rendre compte, il se mit à la voir comme une concurrence à son art.

Son ressentiment envers elle grandissait ; premièrement, son complexe d'artiste jaloux de ne pas avoir sorti Victoire de son imagination, de dépendre d'elle pour ses œuvres, puis ensuite, l'attention qu'elle volait.

Il se mit à réfléchir longuement. La fois où il avait invité tante Marie-Louise, pour lui présenter sa muse, il se souvint des regards de toute sa famille sur elle. Alors qu'ils avaient seulement effleuré des yeux sa peinture, et remarqué qu'elle était belle, ils avaient dévorée Victoire, debout avec son tailleur.

A mesure qu'il la regardait, il se mit à la détester. Et a mesure qu'il la détestait, son admiration envers elle ne faisait que de croître, ainsi que son désir. Bref, il était entré dans une spirale d'oxymores. Sa présence le gênait, et en même temps, il ne voulait qu'être qu'à ses côtés.

Le dimanche 25 septembre, il faisait nuageux, mais il ne pleuvait pas. Ils s'éveillèrent côte à côte, caressés par les rayons d'un soleil étouffé.

Elle se tourna vers lui, et il la regarda.

Elle portait une robe de nuit en satin rouge bordeaux foncé. Ses cheveux étaient lâchés et pendaient derrière son dos. Son regard était fatigué mais jovial, et surtout, innocent.

-Demain, c'est le grand jour.

Il ne répondit pas tout de suite, la contemplant, regardant ses épaules, ses bras nus.

-Tu deviens de plus en plus belle, cracha-t'il.

Elle fut surprise du ton avec lequel il dit cela. N'était-ce pas un compliment ? N'était-ce pas meilleur pour lui? Pour ses œuvres ? Pourquoi avait-il dit cela avec autant de mépris ?

Il se leva brusquement avant de quitter la pièce, et, juste avant de franchir le seuil de la porte, ordonna d'une voix dure :

-Demain, je ne veux pas que tu viennes, sauf si tu n'est pas couverte de la tête aux pieds, et que tu portes un masque.

Il ne vit pas sa réaction, mais entendit seulement sa voix dépassée :

-Mais Victor ?

Il ne chercha pas à débattre et sorti en claquant la porte ; il prit sa douche et passa la journée dehors.

Le culte de la beauté et de l'artOù les histoires vivent. Découvrez maintenant