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L'été avançait. L'exposition dans la capitale allemande durerait deux semaines avant que la vente aux enchères ne commence.

Les incendies ravageaient le sud de la France. Ce n'était pas le moment de s'y rendre. Délaissant sa maison natale, il réfléchissait à d'autres destinations de vacances où il pouvait se rendre avec Victoire.

Lorsqu'il lui fit par de ce projet, elle lui annonça qu'elle n'avait pas informé sa mère de leur relation, ni de leur volonté d'emménager ensemble ; cette dernière serait sceptique. Victor invita donc Marie Claire et Jana Lawson à dîner au Cheval Blanc, 8 quai du Louvres.

Marie Claire Lawon est stupéfaite dans ce restaurant 5 étoiles et devant l'homme richissime qui semble s'être éprit de sa fille. Non moins méfiante, elle pose toutes sortes de question sur son lieu de vie, son entourage et surtout son travail.

Elle pense que Victor est un riche pourri gaté qui s'ennuie. Cependant, elle ne décèle en lui aucun vice pouvant entraver le bien être de sa fille.

Jana, elle, observe, écoute, analyse les moindres gestes de Victor. Il s'exprime bien, semble intelligent et calme. Lorsqu'il dit qu'il est peintre, et qu'il peint sa sœur, elle vacille. Cela expliquerait-il la comportement étrange de Victoire ?

Gênée par toute cette luxure ainsi que par la richesse du jeune homme, Marie-Claire a hâte que ce dîner finisse. Il veut ma fille ? Soit, pense-t'elle, non sans méfiance.

Jana est plus sceptique. Tout semble calculé chez Victor. La tournure de ses phrases trop parfaite, le manque d'hésitations dans sa voix, sa manière de parler à la place de Victoire, qui, en face, demeure droite, sa main posée sensuellement sur sa pommette gauche, son air gracieux, telle une sculpture. Intérieurement, la jeune fille reproche à sa maman son laxisme. Laisser Victoire, dans son état psychologique, s'en aller avec ce millionnaire sorti de nulle part ? Malheureusement, la décision ne lui appartient pas.

10 juillet. Première jour de l'exposition et surtout, Victoire et Victor habitent officiellement ensemble.

Victor a décidé d'arrêter de peindre pour l'instant. Deux de ses œuvres son exposées en Allemagne, Victoire nue allongée sur le lit, et dans la baignoire. Une chez tante Marie-Louise, Victoire à la robe violette, une dans son entrée, Victoire l'inconnue et une dans son atelier, qu'il aimait bien, Victoire au parc.

Cela faisait 5 œuvres. Maintenant, il fallait attendre le succès. Il fallait conserver le côté rare de ces objets d'art et de beauté.

Victor alla s'assoir à côté de sa muse qu'il regarda longuement. Elle tourna son visage vers lui et lui fit un de ses sourires purs, simple. Les commissures de ses lèvres pulpeuses et roses se haussaient, ses pommettes se retroussaient et ses yeux noirs se plissaient. Victor mit sa main dans ses cheveux et continuait à la regarder, sans un mot ni un geste de plus. Elle ferma les yeux et mit sa tête sur son épaule gauche, plia ses jambes, retirant au passage ses chaussons violets.

-Tu es ma muse, lui dit-il à l'oreille. Seulement à moi.

-Oui, Victor.

Ils restèrent ainsi un moment.

Victoire chérissait ces moments d'intimités avec Victor, l'artiste qui l'avait transformée en objet d'art.
Chaque jour, elle cultivait sa beauté. Sa peau devait être parfaite. Elle additionnait les sérums, les crèmes, de manière presque maladive, suivait une routine à la lettre pour sa peau. Tous les premiers du mois, elle retirait ses tresses et teignait ses cheveux crépus naturels en noir, pour que jamais ils ne perdent cette profondeur tant chérie par Victor. Jamais elle ne veillait tard, elle faisait du sport, et, lorsqu'elle avait du temps libre, se regardait dans la glace, certaines fois, Victor la surprenait en train d'embrasser son reflet. Il souriait, émut par ces scènes d'une tendresse rare.

Victoire ne trouvait pas la beauté dans Victor.

Ses cheveux longs et bruns lui donnaient un charme, mais ils étaient ternes, de même pour son teint. Il avait de beaux yeux, mais sans aucune éteincelle particulière, sauf lorsqu'il la regardait, ou lorsqu'il peingnait. Ses joues étaient creuses, ses lèvres légèrement retroussées. Il avait une belle mâchoire fine ; il n'était pas laid, il était mignon, mais il n'avait pas le luxe de se dire beau au même titre qu'elle.

Elle l'aimait cependant pour son talent, pour sa passion de ce qui était beau sans l'être lui même, et son désir de le capturer. Toutefois, elle ne voyait pas la beauté qu'en elle. Elle la voyait dans le lys blanc immaculé, dans l'océan orageux dont les vagues se tourmentaient animés par un vent fougeux, dans les femmes qu'elles croisait dehors, aux Halles, bien habillées, les lèvres teintées ou naturelles.

Elle regardait beaucoup les femmes, les admirait, les écoutait. Elle aimait leurs différences, les morphologies infinies qu'elle croisaient, les milliers de gains de peau, de textures de cheveux, passant de la fibre crépue douce à lisse, les variétés de tailles... Elle qui était devenue ambassadrice de la beauté, la voyait en toutes les femmes.

N'ayant plus sa mère sur le dos, elle se sentait plus libre. Libre des contraintes financières, libre d'une société qui qui sans cesse impose des limites, matérielles ou psychologiques à ceux et celles qui l'occupent. Elle se sentait capable de tout. C'est pour ça qu'elle se baladait, observant dans la rue toute forme de beauté, et s'y complaisait.


Victor lui, dans son éternel conquête de l'art ultime, se documentait sur les voies, les inspirations à explorer. Comment rendre son art plus passionnant ? Comment rendre Victoire encore plus ensorcelante dans ses toiles ?

Il avait déjà pensé à la taille de ses tableaux. A partir de maintenant, il les voulais grandeur nature. Le mètre 67 de sa muse devait être respecté, ses proportions devraient être exactes, quitte à ce que son travail devienne bien plus important.

Un jour, lorsqu'il marchait aile Richelieu dans le musée du Louvre, il se mit à admirer les statues inertes, fixées à jamais. Cela le fit penser à Victoire qui, quand elle posait, ne faisait bouger que ses cils, qu'elle clignait rapidement. Il admirait les corps sculptés à la perfection dans les moindres détails, les bras et le regard figés au milieu d'un mouvement jamais accompli. Il trouva cela extrêmement beau et l'espace d'un instant, il désira que Victoire fut une statue, qu'elle ne bouge plus jamais.

Cette vision d'une Victoire éternellement fixe le fit frémir. Victoire, belle Victoire, pourquoi bouges-tu, manges-tu, sors-tu ?

Il se reprit, chassant rapidement ces pensées dénuées de sens. Victoire devait bouger, manger et sortir. Elle était humaine.

Les jours passaient lentement. Le 14 juillet, fête nationale, ils sortirent admirer les deux d'artifice, près de la tour Effeil, posés sur le Trocadéro.

Les jours suivants, ils ne faisaient rien. Les deux s'ennuyaient.

Victoire se mit à approfondir sa quête de la beauté. Elle sortait, visitait tous les coins et recoins de la capitale. Dans sa recherche, elle se retrouva bibliothèque François Mitterand, ligne 14, où elle s'arrêta dans la section littérature et art.

Elle se mit à lire, pendant des heures. Elle commença par les classiques comme les fleurs du mal, puis tomba amoureuse de Oscar Wilde et de son style original, désinvolte. Elle se trouva des points communs avec l'auteur lui aussi en quête de la beauté sous toutes les formes. Lorsqu'elle termina le portrait de Dorian Grey, elle sourit. Cela lui rappelait son histoire.

Elle réalisa que la beauté n'était pas seulement visuelle, mais elle pouvait se lire, s'entendre. Elle se trouva une passion pour la musique romantique, pour les œuvres de Gabriel Fauré, de Franz Litz. Grâce à l'argent de Victor, elle passait des heures à la Fnac et dépensait des centaines d'euros, pour sa culture.

Jeune habituée  de la bibliothèque, elle fit des rencontres, dont une. Charlotte Morgan, une jeune anglaise, 26 ans, vivant dans le 16e arrondissement, ligne 9, près des Sy.

Victoire fut fascinée par cette femme à la crinière longue et blonde, aux yeux verts, au corps mince et élancé, au regard scintillant d'intelligence. Avec son accent anglophone, elle lui parlait de poésie pendant des heures. Plus tard, elle lui avoua qu'elle s'essayait elle même à la poésie. Les deux femmes devinrent amies.

Le culte de la beauté et de l'artOù les histoires vivent. Découvrez maintenant