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-Je vous présente mes condoléances, M. Devignac.

En prononçant cette phrase d'une voix se voulant grave, l'homme, âgé de la cinquantaine environ, la peau pâle et ridée, fit glisser sur la table un paquet de documents parfaitement alignés.

Il barbouilla, feignant d'être gêné. Son front ridé se plissa légèrement.

-Les documents relatifs à l'héritage... Je vous laisse les lire et les signer.

Machinalement, Victor Devignac signa les documents sans même les lire. Sa mine impassible perturba le notaire en face de lui, qui, dans un premier temps ne savait quoi faire. Il regardait avec curiosité ce jeune homme imperturbable dont les gestes étaient concis, secs et durs. Cependant, il était ravi que cet échange ne dure ; sa journée allait être longue.

Une fois les formalités terminées, il présenta une dernière fois ses condoléances avant de quitter la pièce, laissant le jeune homme seul dans l'immense bureau ayant appartenu à celui qui venait de quitter ce monde.

Oui, il était seul. Son père l'avait quitté, lui laissant un énorme héritag ainsi que son entreprise comme pour remplacer ses longues heures d'absence.

Étaient-ils proches? Pas vraiment. Louis Devignac favorisait avant tout son travail, sa situation. Sa femme était partie tôt, alors Victor n'avait que cinq ans, suite à un cancer du sein.Elle était encore jeune quand la tumeur était apparue ; petit à petit, elle avait infesté les cellules de son organisme, et son sort s'était scéllé très vite.

Seul avec son fils, Louis semblait avoir perdu goût à la vie, et se noya dans son travail. Il mourut 18 ans plus tard. Crise cardiaque.

Louis Devignac n'était pas un homme mauvais. Il était même bon. Bon chrétien qui allait à l'église de temps en temps, il s'assurait de faire de généreux dons au clergé. Une statue de la vierge Marie était posée sur sa table de chevet. Quand il avait le temps, il s'occupait des siens. Il aimait passer du temps avec son fils. Encore une fois, quand il avait le temps. C'est-à-dire, rarement.

La crise était survenue brutalement. Le dimanche même, ils dînaient silencieusement ensemble, comme chaque semaine, d'ailleurs. Ses yeux bruns clairs avaient certes perdu leur éclat, les rares cheveux blancs posés sur son crâne mur suggéraient son âge, mais, il était vivant. Il n'était pas malade. Enfin, c'est ce qu'il croyait.

Trois jours plus tard, mercredi, il s'effondra. Louis était à son cours de peinture. On l'appella en urgence. Et puis, il se mit à entendre ces phrases en boucle.

-« Où comptez vous placer cet argent?

-Dans quoi investirez vous?

-Comptez-vous garder la maison familiale ? »

Soudainement, le décès de son bon père était devenu un business. La banque, les oncles, les cousins, tous avaient les yeux rivés sur cette immense fortune qui venait de se débloquer. Oubliant le décès de son père, leurs yeux brillaient d'envie pour l'or.

Victor était dégoûté.

Il avait grandi dans le milieu des bourgeois. Les gens fortunés, il connaissait. Il connaissait leur cupidité, leur hypocrisie.

Il se souvenait de ce jeune homme. Un jeune riche actionnaire qui, par chance, avait investi sur la bonne affaire. On le saluait, l'invitait aux soirées niçoises si classes. Il était respecté de tout ce petit monde. Un beau jour, on ne le vit plus. Ensuite, on se mit à médire sur lui, à le critiquer, à se moquer.

Victor entendit qu'il avait fait faillite. L'or l'avait quitté. Il n'avait aucun autre intérêt.

Son père l'avait mis en garde contre cela. Il l'avait éduqué à être réservé, à ne pas entrer dans ce jeu vicieux. C'était une chose qu'il avait faite et qui avait fonctionné.

Le culte de la beauté et de l'artOù les histoires vivent. Découvrez maintenant