Le culte de la beauté et de l'art

7

Le visage terrorisé de Victoire, ses yeux écarquillés et sa bouche surprise, prit une expression normale alors qu'elle s'approcha du tableau.

Une seconde plus tôt, son regard était possédé par la peur. Maintenant, une autre étincelle plus sereine brillait dans son regard alors posé sur l'œuvre.

Victor ne comprenait pas. Il se leva et s'approcha rapidement de l'entrée, voulant voir ce qui se passait.

Victoire ne faisait plus attention à lui, mais au tableau qui représentait une femme magnifique. Elle n'avait jamais vu une femme aussi belle. Tout lui plaisait sur elle. Ses traits particulièrement beaux, ses lèvres, sa crinière longue et noire, son teint noir, son port de tête élancé, son élégance et son mystère.

Victor observait la scène. Elle semblait envoûtée par ce tableau, ensorcelée par la beauté de la femme représentée. Alors, sans un mot, elle sorti un miroir de son sac, et l'ouvrit.

Dans son champ de vision, le miroir était aligné au tableau. Elle alternait entre son reflet puis son portrait. Ensuite, la jeune femme mit sa main sur sa joue afin de vérifier une chose : cette personne était-elle même.

Victor ne l'avait jamais vue aussi apaisée. Pour la première fois, la confiance s'était emparée de son être, et rayonnait à travers son visage, ces gestes. Elle se regarda encore dans la petite glace, et sourit.

Elle était là plus belle chose qu'elle n'avait jamais vu.

* *
*

Au cours de sa vie, Victoire n'avait jamais fait attention au fait d'être belle, ou pas. A vrai dire, ça lui était égal.

Elle ne prenait pas forcément soin de son apparence. Elle faisait le strict minimum, se maquillait peu.
Quand on lui disait qu'elle était jolie, elle disait merci, et c'était tout. Elle n'y croyait pas, ou du moins, cela ne comptait pas pour elle.

De nature timide, elle ne se mettait jamais en avant. Elle ne cherchait pas à rayonner, mais elle ne cherchait pas non plus a disparaître. Elle vivait sa vie simplement.

Lorsqu'elle se regardait dans le miroir, elle se trouvait mignonne certaines fois, d'autres, laide, comme beaucoup de personnes. Mais lorsqu'elle se vit dans se portrait, ce fut différent.

Elle tomba amoureuse de son image. Lorsqu'elle se regarda dans sa petite glace, elle réalisa que c'était bien elle, et pour la première fois de sa vie, elle ressenti quelque chose en se voyant, de l'amour.

Cette vision d'elle même déclencha en elle un choc émotionnel, qui, nous le verrons plus tard, changea le cours de son destin, ainsi que celui de Victor.

Lorsqu'elle fut calmée de ses émotions, elle regarda Victor d'une manière toute autre. On aurait dit qu'elle avait changé. Elle fit deux pas vers lui, balançant ses hanches. Ses tresses semblaient flotter dans l'air et son regard noir avait une profondeur qu'il n'avait jamais observé.

-Peins moi, ordonna-t'elle.

Victor jubila. Un grand sourire apparu soudainement sur son visage ravi. Elle était là, sa muse, grandiose. Sa muse qui lui ordonnait d'être peinte. Oui, il la peindrait jusqu'à en mourir, il la dessinerait sous toutes ses coutures, il la représenterait en mer, en montagne, dans le sable, habillée d'une robe violette, nue, triste, heureuse, jeune, vielle.
Il lui offrait ses toiles, ses gouaches, ses coups de pinceau. Tout cela était pour elle, elle seule.

Délicatement, il enfila ses doigts dans les siens et la conduit dans sa salle de peinture.

Dans sa robe de couleur violette, elle s'assit sur une chaise, prenant la pose. Le cou relevé, le visage légèrement tourné vers la droite, révélant un profil séduisant, elle regardait vers la fenêtre. Il faisait nuit. Tout était éclairé à la lumière artificielle mais cela ne dérange pas Victor.

Il s'assit sur son tabouret, et esquissa un dessin sur sa toile en quelques minutes seulement, traçant les contours du corps de Victoire, de son visage, marquant la longueur de ses tresses, les plis de sa robe.

Elle restait immobile, telle une statue, et surtout, silencieuse. Il aimait peindre dans le silence, ne se concentrant que sur l'objet de ses désirs. Extérieurement, tout semblait froid. Lui qui se mettait à poser du violet chaud sur la toile, elle qui, ne le regardant même pas, était figée comme une statue. Cependant, entre ceux deux la, une alchimie naissait, celle de la muse et de l'artiste. Il s'imprégnait de sa beauté ébène et elle, aimait qu'on rende hommage à sa beauté. Ils restèrent ainsi pendant plusieurs heures, jusqu'au petit matin.

Ce tableau là était plus compliqué. En effet, il se devait être moins approximatif que le premier portrait. Il avait plus de détails, cette fois ci. Un visage plus précis, et un corps avec des courbes prononcées, un tissu qui se froissait sur ses hanches, de longues tresses qui sortaient de son crânes, puis étaient cachées par ses épaules, puis réapparaissaient au niveau de ses cuisses pour y tomber gracieusement. Bref, ce tableau lui demanderait du travail.

Vers 6 heures du matin, il senti qu'il avait besoin d'une pause, et elle aussi. Elle voulu voir le début du tableau mais il l'en empêcha. Elle lui sourit, avant de l'embrasser.

Pendant cette nuit, quelque chose d'étrange avait grandit entre eux. Ils avaient une sorte de lien artistique, beau, sombre et fort.

Victor avait regagné son état euphorique d'artiste. Le monde pour lui avait une nouvelle sensibilité, les couleurs étaient toutes différentes, le violet se déclinait en 1000 nuances, le noir en 1000 autres et sa peau sombre était mise en valeur par toutes les autres couleurs. Il l'aimait a travers son tableau. Chaque coup là recréant semblait être une douce caresse. C'était comme si il l'embrassait. Il s'était mit à avoir envie d'elle.

Il mit sa main sur ses hanches, l'embrassant à son tour. Il l'emmena ensuite dans sa chambre où ils firent l'amour pendant quelques minutes, avant de s'endormir tous les deux.