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(Ironie du sort, chiffre 13 pour ce chapitre assez sombre).

Victoire monta dans le taxi, qui, dans une tranquillité amère, lui paru comme un cercueil, noir, luisant. Elle y entra et salua d'une voix lointaine le conducteur qu'elle ne regarda même pas.

Le paysage défilait, ses yeux, vides, observaient le mouvement des objets qui, derrière elle, s'évanouissaient.

On se gara devant l'hôtel Goerges V. Murs livides, nuages dans le ciel. Vent froid.

Elle avança lentement, chaque pas marqueur d'une désolation croissante. Sa robe longue noire suivait son mouvement gracieusement triste. Sa chevelure de jais, docilement posée sur son dos, caressait  ses tempes.

Elle entra, fut accueillie à la réception et monta dans le grand ascenseur. Elle ne se regarda pas dans le miroir.

Arrivée au troisième étage, il était là, la porte ouverte, un sourire jaune presque pénible pliait son visage pâle.

Günter Koch.

Moyen de taille, le front plissé et le crâne clairsemé, les dents fragiles, la peau étonnamment fine. Un regard vif gris, une bouche fine et tranchante, le menton sorti.

Il observa la femme, habillée de noir. Il regarda avec envie ses courbes, ses épaules, et son visage impassible, sa mâchoire, ses traits.

-Victoire... murmura-t'il.

-Bonsoir, salua-t-elle avec sa voix distante, mais surtout, froide.

Il ne remarqua aucunement la froideur et la réserve de Victoire, tant il était omnibulé par sa chair, appelante.

Lentement, il s'approcha d'elle, la prit par le poignet et la fit entrer dans sa chambre, où elle était plantée, stoïque. Il la lâcha et ferma rapidement la porte à clef derrière lui, enfermant la douce dans une prison sans issue.

Elle, silencieuse se laissa guider mécaniquement, encore, sans prêter attention à ce qui l'entourait. Elle se retrouva dans une salle de bain blanche, en marbre, avec des ornementations en or, un immense miroir, et une baignoire luxueuse posée au millieu de la pièce. Les tons étaient clairs, passant d'un vert pâle discret à un blanc crème doux. La pièce était jolie ; les tons froids, qu'elle aimait d'habitude, lui paraissaient hostiles.

Günter la plaça devant le miroir, la prenant par les épaules, et il regarda le reflet de la belle en noir.
Il remarqua que sa peau était douce. Il fit glisser ses mains sur ses épaules, touchant sa peau de ses doigts, se délectant de cette sensation agréable, et elle resta immobile, se regardant.

Il inspira l'odeur de son cou, et comme enivré, regarda de nouveau le reflet et lui souffla à l'oreille, les yeux à demi fermés :

-Du bist so hübsch...

(Tu es tellement belle).

Victoire ne parlait pas allemand, mais l'attitude de Günter, qui agissait tel un mineur ayant mis la main sur un magnifique diamant, lui indiqua ce qu'il avait pu dire.

Elle était belle, oui. Même avec  beauté désolée, toute de noir vêtue, ses pommettes remontée et même avec son regard perdu. Elle était belle dans toutes les situations, dans toutes les circonstances, heureuse, meurtrie.

Elle avait béni sa beauté lorsqu'elle l'avait découvert. Le monde s'était ouvert à elle, et, devenant la muse d'un artiste passionné, elle était également devenue la muse du monde.

Aujourd'hui, elle faisait face à cette beauté qui l'avait également conduit dans un piège. Toute cette grâce, aussi pure soit-elle, se retournait aujourd'hui vicieusement contre elle.

Le culte de la beauté et de l'artOù les histoires vivent. Découvrez maintenant