21 (Fin)

119 7 11
                                    

Il se sentait malade alors qu'il essayait d'avaler un café amer. Ses gestes étaient flous. Son esprit était ailleurs.

Son talent, son pouvoir l'avaient quitté. Dieu avait reprit cette grâce qu'il lui avait confié le temps de quelques semaines, mais, par son orgueil, il l'avait déçu.

Non. Cela ne pouvait pas arriver. Peu importe ce qu'on dirait. Cela ne le touchait pas. Peu importe si on jugeait, si on critiquait. Son seul problème était que ces moments où il approchait du stade d'être supérieur étaient abolis. Il ne pouvait plus créer d'objet d'art, créer son univers sur une toile comme Dieu l'avait fait à l'échelle de la planète. Il était condamné à rester un mortel, humble et inconscient.

Il se gratta le crâne. Des pellicules blanches tombèrent sur la table en verre de la salle à manger.

-Que vais-je faire de ma vie, murmura-t'il, la voix quasiment éteinte.

La carrière de Victor Devignac était close ; il se voyait donner des conférences, traverser le monde, exposer des toiles de plus en plus sublimes. Il se voyait s'améliorer de jour en jour, et recevoir des courriers des écoles d'art qui l'avaient autrefois recalé, regrettant leur geste. Tous ces rêves s'envolèrent en un éclat.

26 septembre. Il n'oublierait jamais cette date où Dieu l'avait déchu.

Tel un Lucifer isolé, il se sentait honteux. Il n'oserait plus lever son regard sur Victoire. Il n'oserait plus se rendre dans un musée, dans une exposition, tant il serait complexe par son incapacité à être artiste.

Il sombrait dans un océan de pensées démolissantes et sournoises. Il pénétrait dans ce gouffre dans lequel il était exilé à jamais ; le gouffre de ceux qui observaient ; il voyait au loin, ceux dans la lumière, les créateurs.

Il senti une main douce se poser sur son épaule. C'était-elle. Victoire, elle semblait être devenue encore plus rayonnante, vêtue de noir tel un ange des ténèbres prêt à l'emporter en enfer.

Oui, l'orgueil était le péché du Diable. Il avait salit ce don par son orgueil et sa cupidité. C'était sa faute. Il avait choisi la mauvaise voie et elle, la bonne.

Il la regarda avec jalousie, et avec colère. Victoire senti le changement d'état de son partenaire et recula d'un pas, percevant cette animosité dangereuse.

-Je t'avais dis de ne pas te rendre au musée.

Chaque syllabe était étonnamment bien articulée, ses yeux fixaient la table. Il ne la regardait pas. Dans sa voix, on pouvait percevoir des éclats de rage.

-Victor, tu étais devenu impossible avec moi. Tu ne respectais plus ma beauté, dit elle, gémissant de tristesse.

Son animosité s'évanouissa en une seule seconde.

« Tu ne respectais plus ma beauté ».

C'était la vérité. Il n'avait plus de respect pour la beauté.

La beauté était fragile. Il fallait en prendre soin chaque jour ; Victoire était sa muse et le vecteur de son talent de peintre ; telle une statue, il devait l'astiquer, vérifier qu'aucune éraflure n'était présente à sa surface, et aussi l'exposer. Il avait fait l'inverse. Il avait vendu son corps à un homme vicieux et pervers, il avait interdit au monde de profiter de sa volupté. Il utilisait son corps pour son propre mérite et ne lui adressait même pas la parole en dehors des heures de pose.

Oui, lui, artiste, avait blasphémé sur la notion de beauté. C'était la raison pour laquelle le ciel avait refusé qu'il reste un artiste. C'était sa punition.

Il regarda Victoire, les larmes aux yeux :

-Je suis désolée Vic. Je ne te mérite pas. Tu peux aller avec Charlotte, je ne suis plus en mesure d'assurer ton rôle de muse.

Le culte de la beauté et de l'artOù les histoires vivent. Découvrez maintenant