Le réveil du prince

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Un soleil caché derrière d'épais nuages, un air lourd s'empressant sur ses tempes comme pour les faire voler en éclat. L'astre de Zyon apparaissait, ensuite s'évanouissait faisant succéder le jour et la nuit à une vitesse extraordinaire. Au-dessous de lui, un pays se meut, un sentier tracé dans les bois se meurt. Sur cette route, des morts crient à l'unisson. Ils l'appellent, le veulent au près d'eux, le réclament avec zèle pour qu'il les rejoigne dans les Ténèbres de Fehed où sont châtiés les âmes mauvaises. Ils rugissent, et emplissent l'atmosphère de leur alène putride. Leurs voix s'élèvent dans le ciel et font trembler toute la Terre.

Ensuite le silence et le soleil qui s'en va, un tout autre tableau s'offre à sa vue, ici la lumière est tapissée, elle vient de nulle part. Il n'y a aucun astre dans ce qui se rapproche du ciel, seulement une brume qui flotte dans l'infini. Et sous ses pieds un sol ferme et craquant, devant lui un fleuve infini et des milliers d'hommes debout sur des bateaux à trois mats. Ils naviguent sur les eaux ocres du fleuve Nyrah dans lesquelles baignent des créatures spectrales blafardes et difformes.
Certaines embarcations amarrent sur la rive gauche et sont accueillis dans les lumières par les dieux mêmes, d'autres s'arrêtent sur la droite, s'enfoncent dans les Ténèbres dont ils ne ressortent d'eux que des pleures et des hurlements. Une autre venait vers lui le chercher.

Le cour du fleuve se perd à l'horizon, mais quelque part à son extrémité se pressent Fehed, la déesse des morts et d l'au-delà qui détermine la sentence éternelle des âmes. Elle est un être au visage indéfinissable dont les ailes dans le dos ressemblent tantôt à celles des hirondelles, tantôt aux membres hideux des dragons. Son chant seul perturbe le silence que ni le mouvements des bateaux ni la brise viennent défier et son souffle guide les voiles des bateaux sur le Nyrah. Elle vole au dessus du fleuve, condamnée à n'être ni dans ses Lumières ni dans ses Ténèbres mais à demeurer un guide, un intermédiaire.

Le chant n'était plus le sifflement d'un quelque oiseau d'autre monde mais l'intonation d'un murmure et l'ardeur audible d'un hurlement. Des mots sortaient de l'infini et faisaient s'arrêter les bateaux comme le vent.

-Aménadiel, Aménadiel , disait la déesse.

Laisse la barque s'en aller, ne monte pas, ne viens pas. Il te reste encore tant à accomplir. Retourne d'où tu viens fils de Thémys, réveille-toi!

Elle répéta encore ces derniers mots avec le ton de l'ordre ces fois.

A nouveau tout disparu, le fleuve, les bateaux, les hommes, la voix. Et un bruit nouveau se faufila dans ses oreilles.

Aménadiel ouvrit doucement les yeux, il dut les cligner quelques secondes pour s'accommoder à la lumière d'après midi qui l'inondait. Son ouïe et sa vue furent les premiers à l'assurer d'être encore vivant. Car à son côté droit une femme essorait un torchon rouge dans un seau et le bruit de l'eau était parfaitement distinct. Devant lui il y avait une fenêtre ouverte qui apportait les odeurs d'un potager, et dans un coin gauche un homme assis sur une chaise enfuyait son visage dans ses mains. Une touffe rousse et désordonnée ne laissait aucune équivoque sur l'identité de la personne assise.

-Mon seigneur!

La femme remarquait les yeux ouverts du prince et alertait Tristan, son excitation était telle qu'elle avait dû éveiller toute la maison par la même occasion. C'est elle qui l'avait soigné.

Une face rouge émergeait des mains pâles du chevalier qui ne prit conscience du réveil d'Aménadiel que lorsque la femme sortait en courant et en criant.

-Seigneur Geoffroy! Seigneur Geoffroy!

Le roux bondissait sur ses jambes et accourait vers le lit. Il avait un air vitulin par ses yeux enflés, ses cheveux en bataille, son teint rougit et les traces de larmes sèches sur ses joues potelées.

La dernière des guerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant