Aménadiel s'étonnait de quitter la salle du trône sans le moindre ennui, plus encore de quitter le palais. En quittant la ville, il en arriva à se demander si c'était bien son frère Antar qu'il venait de rencontrer.
La nouvelle herse, dont le métal semblait inébranlable, se levait encore quand il lança un dernier regard au château. Il s'attardait sur les douze tours, qui n'avaient été construites ainsi que parce que le château de Draïm en avait onze. Il regarda particulièrement la huitième où se trouvait la salle d'arme et où, en cachette, Adrien l'avait appris à se battre. Il se mordit à nouveau la lèvre à ce souvenir.
Pendant neuf ans, il avait enfui le souvenir d'Adrien dans sa tête. Il ne voulait pas pleurer pendant cette période sombre dans laquelle il devait montrer qu'il devenait fort et brave. Mais se trouver dans la ville et surtout dans le palais où tout lui rappeler son tendre frère et son père ne cessait de le bouleverser. Cela faisait remonter à la surface toutes les émotions qu'on l'avait forcé a réprouver. Le chagrin, l'amour, la culpabilité.
Il se sentait donc soulagé à l'idée de bientôt quitter le château. A nouveau il fuyait, cette fois ce n'était pas les armées prêtes à le massacrer, mais le rappel de tout ce qu'il pouvait ressentir. Pourtant il se sentit à nouveau comme se soir là où il venait de voir le cadavre d'Adrien avant de contempler toute l'horreur dont était capable un homme armé d'une épée.
Il se sentit de nouveau comme ce garçon de onze ans qui fixait les flammes qui s'élevait de là où se trouvait la chambre de son père. Les yeux luisant de larmes de peine, mais surtout de colère.
Ces yeux étaient trop jeunes pour tout comprendre, mais assez âgé pour se douter que c'était là le début d'une ère funeste.
Aménadiel garda ces yeux, perdus entre la tendre enfance et l'âge adulte. Gris comme s'ils avaient vu le blanc le plus pur et le noir le plus obscur.
Ces yeux, en neuf ans, n'avaient versé aucune larme.Il avait créé une véritable agitation en arrivant dans la ville. Le peuple avait tout de suite fait le rapprochement entre cet individu et le prince prodigue qui se cachait des guerres.
Le voir, accompagné de 15 chevaliers seulement laissait à supposer qu'il venait conclure une alliance, ou du moins demander une trêve. Mais partant aussi vite qu'arrivé avec le regard sombre et l'attitude encore plus vigilante qu'à l'arrivée ne laissait aucune équivoque.
Aménadiel allait participer à la prochaine guerre.Les hostilités à proprement parlées débutaient le cinquième jour du mois de Keprah. Jour qui marquait la mort de son père.
Il y avait eu deux grandes guerres depuis la mort d'Adrien. La première, qui commença à l'instant même où les sages décrétèrent le retour de l'ancienne loi des guerres de la couronne, avait été remportée par Antar.
Il s'était accaparé de la capitale Inad-Ale, faisant de lui le roi, et la cible principale pour les futures guerres.
Les autres frères s'étaient chacun retirés dans une partie du royaume, conquérant des cités afin d'affermir leur pouvoir.
Ces cités étaient comme coupées du reste du royaume. Il n'y avait aucun échange économique, social, et encore moins politique. Elles constituaient aux yeux d'Antar une zone de rebelles à abattre, et le peuple qui y vivait n'avait plus qu'à subir la fureur réservée à ceux qui le déplaisent.
Elles n'étaient pas non plus en contact entre elles. Autant qu'une cité était méprisée par Antar, elle l'était également par le prince à la tête de la suivante.Un chaos faisait écho dès les premières maladies du roi Argandiel. Il avait vu le jour à sa mort et ne cessait de croître depuis. Un nuage de désolation planait en permanence au dessus du royaume.
Le peuple le savait mieux que les princes qui préféraient l'ignorer, ne portant leur attention qu'à l'ambition dévorante qui était leur seul point commun.
Ils n'avaient ni le même physique, ni la même attitude, ni les mêmes goûts, les seules choses qui les unissaient étaient cet homme qui avait vu en eux des fils, et cette ambition, cette soif du pouvoir, si grande et féroce, incontrôlable. Commune à chacun d'eux comme si elle leur avait été transmise dès le bas âge, comme s'ils l'avaient reçu au sein de la même nourrice.
Les sages aussi ignoraient ce nuage de mort. Incapables d'admettre leur erreur, ils étaient taciturnes devant les folies enchaînées par les princes.
Ils avaient regardé Antar mettre le feu au pont construit depuis un siècle, reliant les deux grandes cités séparées par le grand fleuve : Orwin et Medès. Pour la simple raison que la première était tombée sous la main de son frère Arian.
Ils étaient ainsi silencieux face aux multiples ruptures de la loi. Quand Antar attaquait ses frères avant le début d'une guerre. Faisant que, malgré l'accord des deux guerres en neuf ans, il y avait eu au moins une trentaines de batailles.C'est avec toutes ces animosités qu'Aménadiel dut grandir.
Son armée n'était pas assez forte ni lui assez intelligent pour conquérir une cité. Il avait donc errer, de villes en villes, en attendant que la prochaine tentative d'assassinat n'arrive.
Si un autre homme que Marius avait commandé ses légions, il serait sans doute mort depuis huit ans.
Son commandant l'était aussi fidèle qu'il était habile et stratège. Il avait élevé un enfant dans les circonstances les plus hostiles. Se méfiant jusqu'au cheval qui tire son char.
Il n'y avait pas qu'Antar qui tenta de tuer Aménadiel. Tous le firent. Marius disait que c'était parce qu'ils voulaient se débarrasser de lui quand il était encore faible, parce qu'ils avaient peur de ce qu'il deviendrait une fois adulte.
Aménadiel lui ne voyait qu'une explication à cela : c'était l'expression de la haine que ses frères avaient toujours eu à son égard. Il en était persuadé, même s'il ignorait pourquoi. Et le sourire et le regard de tendresse qu'Antar lui offrait ne l'avait nullement fait changé d'avis.Quand la herse se leva complètement, et que le tintamarre des chaînes se tut définitivement en un dernier raffut, Aménadiel s'arracha brutalement à ses pensées.
Il regarda encore la cour, se souvevant vaguement de la voix d'Adrien, mais clairement de son apparence.
Il se souvenait parfaitement de ses longs cheveux bruns jamais attachés, de sa peau mate, héritage de son peuple d'origine, de ses yeux noirs et de ces fines lèvres qui ne souriait que très rarement. A première vue, tout le monde jugeait antipathique le prince ainé. Il semblait austère et hautain. Il ne parlait que très peu et toujours après tout le monde, comme pour avoir le dernier mot. Il ne se rendait aux bals royaux que si son père insistait pour sa présence. Ne se mêlait jamais au peuple et resté toujours enfermé dans ses appartements ou dans la huitième tour quand il était au palais, chose assez rare.
Argandiel le missionnait généralement dans les royaumes voisins pour renforcer les alliances. C'est dans ce but qu'il avait été, quelque jours avant la mort de son père, fiancé à la princesse de Draïm.La mauvaise impression qu'on se faisait de lui disparaissait à la seconde où on l'entendait parler. Et on comprenait aisément pourquoi c'était cet homme du désert qui resserrait les accords du roi. C'était parce qu'il était une meilleure personne qu'en apparence qu'on l'aimait plus qu'Antar ou tous les autres. Et c'est parce qu'il était le favori de tous que ces quatre autres frères le méprisaient.
Aménadiel se mordit à nouveau la lèvre, cette fois de colère. L'idée que le meurtrier d'Adrien était toujours en vie, et pire, libre, le mettait hors de lui.
C'est cette colère qui l'avait rendu fort. Le désir de vengeance, de planter et d'enfoncé un poignard dans le cœur du coupable et de regarder la vie couler de lui, et la flamme dans ses yeux s'éteindre peu à peu.
Il se mordit si fortement la lèvre que la douleur le ramena à la réalité.Il traversa enfin la herse, ensuite la ville qui murmurait et le dévisageait. Puis enfin, il quitta Inad-Ale.
A l'extérieur de la ville, au loin, se dressait un blason qu'Aménadiel ne connaissait que trop bien. Un aigle, des ailes d'or sur un fond rouge. C'était un blason qu'il ne pouvait oublier. C'était le blason d'Aragon, le frère qu'il aimerait bien tuer.
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La dernière des guerres
Aventura«Quand un roi meurt, c'est son premier fils qui lui succède. Ces fils sont son héritage à travers le temps. Et Argandiel ne nous a laissé que vous. A croire qu'il est maudit » Les seuls héritiers d'un roi sont ses six fils adoptifs, chacun plus am...