Les D'ondour, le prince Aménadiel et le village: troisième partie

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La nuit était définitivement tombée, la fête n'avait pas baissé de cadence et Lyla n'avait pas fini d'en profiter. La jeune fille était une âme libre, ne craignait ni la colère de son père ni les reproches de sa mère et surtout, aucune menace ne planait au dessus de sa tête. Les choses étaient différentes pour le prince qui n'avait jamais été libre. Outre les dangers, la fureur de Geoffroy était une chose qu'il craignait. Ce cinquantenaire dont le visage était gravé à jamais de dévotion et du sacrifice pour lui avait toujours eu le don de le faire culpabiliser, Geoffroy était le seul de ses chevaliers à porter une preuve aussi disgracieuse de sa loyauté, et pour cela il bénéficiait d'une profonde reconnaissance.
« il faut que je rentre » pensait-il en se souvenait comment son titre l'avait toujours si peu sauver des grondements de cet homme. Et pourtant il ne disait rien à Lyla, ne trouvant pas la force de briser son bonheur en cet instant même s'il ne comprenait que peu l'idée qu'une chose aussi superficielle puisse lui fournir un si grand bonheur.
Aménadiel depuis longtemps avait envisagé les choses qui auraient pu le combler d'un bonheur ineffable et en haut de cette liste se trouvait l'accomplissement de sa vengeance. Quelques instants il avait pensé différemment, quand il mourrait sur le sentier de Praad et qu'il lui semblait apercevoir dieu ensuite lorsqu'il  avait trouvé un instant de répit dans les grand yeux noirs de Lyla D'Ondour, mais après cela, en survivant à la mort et en s'habituant à Lyla, il en venait à la conclusion que ni les perceptions divines, ni les instants d'amour ne lui suffiraient jamais. Son bonheur à lui trouvait là où se mêleraient justice, vengeance et grandeur.

Le village était parcouru d'une rue unique qui s'ondulait et se faufilait entre des bâtisses de taille diverses qui ne devaient pas être plus d'une trentaine.
La plus haute étant une taverne à trois étages un peu loin de la place commune.
Il marchait maintenant vers cet endroit, Lyla D'Ondour blottie à son bras gauche pendant que dans son esprit, quelques pensées nébuleuses se flânaient quelque part entre Marius à Ored-Hans et Galahad qui l'observait ou qui commentait un crime à ce moment même.
C'était d'ailleurs une circonstance parfaite pour ce dernier, personne ne verrait quoi que ce soit à cause de la fête.
Galahad allait tuer une personne qui n'était pas Aragon, et il n'avait rien fait pour l'en dissuadé, il n'avait pas non plus demandé qui ni pourquoi. La seule chose qui l'avait dérangé était de n'avoir pas été informé et surtout obéi. Il en était surpris, mais à ses yeux, les autres pouvaient tuer qui bon leur sembleraient à la seule condition de le laisser venger lui-même Adrien. Parallèlement à cette pensée, il revoyait
les images de la bataille de Praad, quand Xavier était mort, quand il avait pour la premier fois tuer un homme, enfonçant son arme dans sa chair, sentant sa vie s'envoler et se perdre quelque part. Même s'il commettait cet acte pour la première fois, dans son cœur et son âme s'en trouvaient l'habitude. Tant il avait rêvé, dans son sommeil et sa vie de mort et de destruction.
Il avait, l'espace d'une seconde senti toute la puissance et la quintessence surhumaine de son acte. N'était-ce pas de base une pratique réservée aux dieux que de tuer un homme. Un certain point de non retour et d'acceptation était à attendre pour goûter à cet affront, il l'avait atteint d'une façon assez naturelle. Il en éprouver du plaisir, et cette vérité le couvrait de honte.
Les phrases d'Adrien, son premier professeur, puis celle de Marius le condamnaient.
« Je t'apprend à te battre, mais pas à tuer »
« Personne ne te montera comment réagir après avoir tuer quelqu'un, mais ta réaction déterminera quel genre d'homme tu es. »
Il était un homme transcendé par une mission qu'on lui incomba depuis l'enfance et perdu entre les lumières et les ténèbres. Il était homme avec Lyla, un homme en paix, mais un être malheureux et incomplet. Sans Lyla il était une âme tourmentée par ses faiblesses et plein de rancœurs et il ne s'y était habitué. Sa rencontre avec Galahad l'avait secrètement satisfait, se trouvant avec un  homme qui éprouvait une haine semblable à la sienne, à la seule différence qu'il n'en avait honte, lui avait redonné une place dans ce monde. Galahad était la présence palpable de sa conscience vengeresse. Maintenant il se souvenait de sa raison d'être, si des forces supérieures l'avaient tiré de la mort, comme le pensaient beaucoup, ce n'était pour qu'il soit un homme amoureux. Pour Aménadiel, l'amour n'avait aucune noblesse, aucun pouvoir et aucun intérêt. Il ne connaissait qu'un seul grand homme qui parla beaucoup d'amour, et cet homme souffrait de ne plus jamais le connaître.
Eldrin Durham était un homme  amoureux, mais un homme sans âme, sans identité et la nouvelle vie qu'il lui promettait était insipide et factice. Il y avait une telle facilité à être Eldrin Durham et la facilité n'était pas chose de grands hommes.
Lyla l'entraîna devant une table à roues qu'une vieille dame avait installé sous une lanterne accrochée au mur d'un apothicaire. Sur la table, un ensemble étrange de cartes, de coquillages, de plumes et d'osselets que la dame survolait des mains avec des gestes surnaturels. Il n'en fallut pas plus au prince pour comprendre de quoi il s'agissait. Sa mâchoire se resserrait, puis il mordit sa lèvre inférieure.
« Pourquoi est-il si difficile de lui tenir tête? » se demandait-II devant l'incapacité qu'il avait de s'opposer aux désirs de Lyla, les choses lui semblaient claires qu'il ne l'aimait pas d'un amour fou et invincible et pourtant une force voulait qu'il lui obéisse comme un esclave. La paysanne de quelques façons mystiques avait réussi à soumettre un prince.
-Alors M'dame, c'est quoi qu'tu sais faire avec ça ?
La dame, dont les longs et frisés cheveux roux et blancs tombaient sur son visage ridé leva théâtralement sa tête et fixa le jeune couple.
Elle dévisagea d'abord Lyla puis lui saisi violemment les deux mains. Instinctivement, Amenadiel avait reculé d'un pas et posé sa main sur la ceinture autour de sa taille, mais il n'y avait aucune arme.
« Il faut que je rentre »
Il attendait de voir une réaction de Lyla qui eut montrer qu'elle se méfiait, mais sur son visage, seule l'attention sur ce que la vieille faisait.
Tenant toujours les mains jeunes et fraîches de Lyla dans les siennes couvertes de rides et de taches rousses, la vielle dame avait clos ses yeux verts et dirigeait les deux paires de mains au dessus des objets apposés sur la table. Elle s'arrêta net devant une plume blanche, lâcha les mains de Lyla puis lui arracha un cheveu sans qu'elle ne bronche.
La vieille regarda ensuite le garçon, mais il ne venait toujours pas.
-Me dis pas qu't'as peur, c'est pas quand même une vieille sorcière qui vas t'faire fuir. Mais viens ! Elle criait à cause de la musique.
- tu devrais cessé de croire à ce genre de mensonge Lyla.
Mais il ne résista pas plus que d'habitude, sans rien dire, ses mains étaient prisonnières de la vieille qui répétait les mêmes gestes.
Il lui semblait que la comédie dura plus longtemps, la vieille dame s'agitait avec plus d'énergie. Et quand elle lâcha ses mains pour tirer une pierre, noire comme l'ébène, elle poussa un cri de terreur en rouvrant des yeux agité et humides.
Se ressaisissant, elle parla d'abord à Lyla.
- Toi ma petite, tu as tiré la plume d'un jeune cygne. Un oiseau pur et blanc. En toi je ne vois que la pureté, la bonté et l'innocence, cependant, la plume que tu as tiré vient d'un animal que l'on sacrifia aux dieux. Cela veut dire que tu prendras part à un événement d'une grande importance, et que tu en sortiras soit brisée, soit morte. 
Elle se tourna ensuite vers Aménadiel, avec l'expression de la peur dans toute sa personne.
« Et toi mon garçon, toi tu vis sous un nuage tellement obscur. La pierre que tu vois là est un onyx, la pierre des damnés. Né d'une honte et pourtant couvert d'éloges tu es symbole du mal déguisé en bien, ou du bien changé en mal. Une malédiction plane au dessus de toi, mais tu peux l'éviter en renonçant. Ta malédiction veut que tu aie un désir  et un destin, si tu souhaites accomplir ton désir, tu compromettras ton destin qui est bien plus grand, et si tu abandonnes ton désir, tu seras sauvé. Ton désir te conduira à la souffrance et tu vivras longtemps, ton destin te rendra heureux mais tu mourras très tôt. Soit tu verras mourrir tous ceux que tu aimes, soit tu mourras avant tous ceux que tu aimes. Mais il y a une troisième voie...
Elle sortit une pierre bleue qui se trouvait en dessous de l'onyx et la lui mit dans la main.
« Le saphir est la pierre de l'espoir et de la rédemption, mais elle est tapis sous la damnation. Tu devras chercher dans ton passé pour sauver ton âme »
Elle se mit ensuite à tourner autour d'elle-même et Aménadiel, pris de peur, entraîna Lyla plus loin en se retournant fréquemment pour voir si la vieille dansait toujours.
Lyla ne croyait pas aux présages de rue , mais était contrarié car la vielle avait menti avec plus de zèle et fantaisie pour le prince que pour elle. Aménadiel non plus n'y croyait pas, mais il s'en trouvait effrayé car sa prophétie interprétait un fait: s'il voulait être roi, il devrait voir mourir tous ses frères et donc toute sa famille, tous ceux qu'il était sensé aimé. S'il pouvait reconnaître ainsi cette partie de la prophétie et que cette partie avait une logique, comment la vieille sorcière en était arrivée à cette conclusion ?
Il savait que ce genre « d'artiste » faisait le tour des villes, et la dame était assez vielle pour l'avoir un jour vu jeune si elle vena jamais à Inad-ale dans le passé.
-Nous devons à présent rentrer.
Murmurait-il en l'entraînant de force vers ce qu'il supposer être l'être -la sortie- du village.
Ils passèrent devant l'orchestre, une autre femme avait pris la place de Lyla sur la table et chantait une hymne au vin. Ils enjambèrent quelques ivrognes endormis avant que Lyla ne s'oppose fermement.
- T'es bête ou quoi ! T'as pas vu comment il fait noir. J'connais quequ'un ici, on a qu'à dormir chez elle. C'est ce que j'fais quand j'peux pas rentrer.

Cette fois le courage lui vint de s'opposer à elle. Il ne pouvait rester une nuit dans ce village qui l'oppressait dorénavant. Comment avait-il ressenti un semblant d'incertitude ici ? De même qu'à la ferme D'Ondour?
Meny D'Ondour, Galahad et la vieille femme avaient tous essayé de lui ouvrir les yeux sur ces endroits qui n'étaient pas faits pour lui. Le prince Aménadiel était un intrus là où ne se trouvait pas sa vengeance, il ne pouvait se plaire dans la peau d'un paysan qui écoute les prophéties d'une sorcière ni celle d'un chevalier d'Orwin qui n'espère rien au delà des ordres de son général et encore moins dans celle homme qui aime Lyla D'Ondour.
Elle était tenace et il avait toujours était passif pour elle. Mais l'appel de sa mission se confondait aux étoiles de la constellation de Keprah, il n'avait plus le temps de plaire à Lyla D'Ondour, et il n'avait jamais eu le droit de l'aimer.
Il se contenta de lâcher sa main et de se diriger seule vers la sortie du village.
Il devait partir pour Ored-Hans, dès le lendemain.

La dernière des guerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant