Les ordres

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Les deux portes qui donnaient aux appartements du roi étaient larges, hautes et épaisses, elles étaient faites d'un bois sombre et recouvertes de peintures ornementales dorées. Même si le pays était riche de toute sorte de métaux et pierres précieuses venant principalement de Deodone, de l'Assouan et de Dotrak, l'or était le favori dans cette diversité et la famille royale l'employait dans tout ce qu'il y a d'ornemental, de sacré et de pur.
C'était l'une de ces lourdes portes qu'Antar avait claqué après son entrevu avec le commandant de la légion d'Aragon.
Comme à leur habitude, le commandant Reb et lui s'étaient retirés dans la cinquième tour. Ils occupaient une petite pièce circulaire dont l'unique fenêtre faisait face au feuillage d'un grand cèdre. La position inadéquate de la fenêtre rendait la pièce assez sombre, pour y remédier, des multiples bougies étaient allumées à chaque fois qu'elle devait accueillir des invités, ce de jour comme de nuit. Ce cercle sombre était connu comme la salle des secrets des rois, là se faisaient tout ce qui se jugerait indigne du sang royal ou interdit à tout public. Cette particulière attribution remontait aux premières guerres du Trône, peu après la victoire du général Solon sur les princes. En devenant Amon et donc le premier roi n'étant pas de sang royal, il devenait également la cible des sujets loyaux aux descendants d'Attias comme celle des ambitieux qui aussi convoitaient le trône. Par la découverte d'une salle isolée, dissimulée et rattachée à plusieurs chemins secrets, il s'assurait un lieu de répit et de retraite en cas de trahison. Cependant le secret de sa salle ne perdura point, et sa plus grande crainte finit par advenir, il mourut dans son propre refuge, assassiné par son épouse. La tragédie rendit la salle célèbre, la faisant ainsi perdre son attribut le plus brigué, mais elle ne perdit rien de son activité, bien au contraire.  Le régicide qui s'y identifiait la couvrait d'un voile de mystère et d'horreur qui exerçait une morbide attraction. La genèse assez sombre de la salle de secret contribuait à la création et à la propagation des mythes autour d'elle, chaque roi y avait droit à son histoire sordide, Argandiel plus qu'aucun autre.

Antar avait reçu de nombreux personnages dans la salle des secrets, mais Reb était l'habitué des lieux, il venait au moins une fois tous les deux mois et s' y rendait sans faire le moindre détour, il connaissait son emplacement, notamment celle de sa porte dissimulée derrière des rangées de livres, mieux que certaines personnes de la cour.
Quand ils eurent fini leur bruyant entretien, le commandant avait croisé la reine dans un couloir, il l'avait déjà aperçue quelques fois sans jamais lui être présenté, cette fois il passa juste à côté d'elle, tant qu'il s'enivrait de l'odeur de son parfum et s'aveuglait de l'éclat de ses cheveux. Il fut surpris par sa beauté, et plus encore par le fait qu'elle appartienne à un homme comme Antar dont les agréments n'étaient certes pas à douter, mais dont la différence d'âge, d'attitude et de vision était considérable. Antar nageait dans la quarantaine et Gwendoline n'avait pas encore vingt-six ans, il était dissimulateur et joyeux, elle avait une franchise incompatible et un air constamment cabré ou du moins sérieux. Reb réprouva le désir d'écouter à nouveau sa voix et se contenta de s'arrêter et d'incliner la tête devant elle. Même dans une ère aussi peu conformiste, les règles d'éthique en présence d'une reine était encore du premier ordre, de ce fait, prendre les devants et s'adresser à elle, surtout sans présentation préalable, était sanctionné par long séjour en prison, et pour un chevalier, également par la perte de son titre. Si les lois lui étaient tout de même indifférent, Reb restait sur les sentiers battus, contre le besoin de son cœur, à cause de la rage dans laquelle il avait laissé le roi. Antar était un homme calme et toujours droit dans ses bottes, il camouflait ses émotions derrière une attitude amusée et sûre, seules les différentes teintes de ses yeux verts pouvaient trahir son humeur, mais même ceux là se cachaient souvent. En passant son enfance dans une école de Général, son adolescence dans un camp militaire et une partie de sa vie d'adulte sur le front, Antar avait appris à dissimuler ses émotions, à les tromper même pour mieux manipuler. Pourtant ce jour là il avait hurlé, grondé, blâmé, il en devenait rouge, ensuite pâle puis se figeait quelque part entre ces deux teintes pour prendre la forme d'un monstre de colère et d'inquiétude. Et seul Reb était témoin de cette scène, il était seul à voir le monstre saccager la salle des secrets, en renversant la table rectangulaire au centre et les bergères dos au murs, ce violent spectacle ne l'effrayait pas en soit, ce qui le perturbait se trouvait dans les raisons de cet affolement. Voir s'emporter un homme aussi puissant qu'Antar pour un événement qu'ils avaient déjà prédit l'avait quelque peu surpris.

La dernière des guerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant