Ored-Hans

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Comme son cheval était mort, il montait  une autre bête, une de celles qu'ils avaient volées chez les D'Ondour et les fermes voisines.
Ils étaient maintenant des voleurs, et lui, en plus était un assassin.
Pour la première fois, il éprouvait ce que ressent un prince proscrit et accusé car il s'était toujours vu comme le prince vengeur à qui la justice devait des comptes, et jamais comme le coupable de l'affront. Il n'avait jamais été à blâmer et maintenant il était accusé par sa propre conscience, elle le torturait, l'affligeait d'images et de pensées macabres. Il n'était plus pur, se sentait maculé par la même souillure pour laquelle  il haïssait Aragon ; ils étaient à présent frères dans le pêché.
Depuis deux semaines, depuis qu'ils avaient quitté Tyraad, il avait honte de portait le nom de Diel et de se croire fils d'Argandiel et frère d'Adrien. Durant les neufs années qu'il était en fuite, le dernier fils d'Argandiel avait dirigé sa colère sur ses frères; et pour cela, il ne s'était jamais autorisé à faire de mal à toute autre personne, il n'avait jamais envisagé que sa quête vengeresse le pousserait  à étendre son épée sur une personne qui portait pas le nom de Diel.
En l'espace de quelques jours, en remettant enfin les pieds dans les territoires du royaume de Zhür, comme si cette terre abritait un démon meurtrier, il avait été un guerrier qui tue l'ennemi puis un un homme qui assassine. Et de chacun de ces actes, un savoir et une torture émanait, il percevait une différence profonde. Sur le champ de batailles, le guerrier est délié de toute morale et de tout reproche, il vit selon la loi de la guerre et le blason qu'il sert l'y garanti. Mais sans armure et sans blason, quand il  devient un homme du peuple et qu'il tue un homme du peuple, il franchit alors une ligne qui sépare deux mondes, deux états d'âme.

A Ored-Hans rien n'avait changé, le village était toujours peu instruit et peu curieux de la guerre et des hommes qui la font et qui prenaient l'habitude de danser à ses portes. Ce peuple était innocent dans ce conflit par leur ignorance, contrairement à certaines cités qui avaient pris partie, à volonté ou à contre cœur pour un ou l'autre des princes.
C'était un village organisé autour d'une rivière, certaines maisons en étaient si proches qu'elles semblaient flotter sur une eau qui, à certains moments de l'année, les reflétait avec une clarté onirique. Ored-Hans n'était pas plus grand que le plus petit village d'Orwin et ne comptait pas plus d'une soixantaine d'habitations. Son peuple n'y cherchait jamais à rien comprendre. Quand une mort suspicieuse apparaissait, il ne devait y avoir aucune enquête, le village prenait garde à effectuer tous les rituels requis pour que le défunt rejoigne les Lumières en paix et, peu importe les réclamations de la famille, oubliait l'affaire sans chercher la moindre explication. Il abritait des armées alliées comme ennemies de Zhür en se déguisant telle une zone neutre du continent, par malheur d'être la convergence de trois pays.

Le village avait adopté beaucoup du mode de vie de l'ouest. L'architecture des maisons par exemple, le fait de construire en pierre et en terre et non en bois, il avait aussi appris la pêche, la peinture et les rites de mariage, s'était rapproché des coutumes d'Indernhan, comme le peuple de Montigrad de celles de l'Empire Draïm. L'entrée du village était aussi image d'Idernhan, c'était le traditionnel arc de pierre blanche, haut de 4 mètres et demi et gravé d'écriture ancienne d'une langue que plus personne ne parlait.
Devant cet arc, un homme attendait debout, droit dans sa posture comme s'il écoutait le roi lui parlait. Il attendait depuis le matin, s'arrêtait parfois pour aller se nourrir ou se reposer et revenir, reprendre la même position de roc. Il tenait a les accueillir le premier, comme pour se garantir qu'il était toujours leur chef.
Un éclaireur lui avait fait partie de la survivance d'Amenadiel plusieurs jours plutôt, et un autre, la veille, de son retour. Il savait donc qu'ils seraient de retour dans l'après-midi, et maintenant le soir allait tomber, et le prince ne revenait toujours pas.
Marius était inquiet, ses yeux noirs s'agitait dans tous les sens à la recherche du signe qu'il avait eu raison de rester à Ored-Hans.
Quand un de ses chevaliers lui avait fait part de la bataille de Praad et de la blessure d'Amenadiel, il avait senti son existence s'effondrer. Sa mission, comme pour beaucoup d'autre, était la seule chose qui restait à sa vie, il n'aurait jamais survécu à la mort d'Aménadiel.
Enfin, alors que l'inquiétude battait son comble et qu'il se sentait pris de vertige, il aperçut sur le sentier qui menait au village, une troupe approcher et prônant un blason, celui de la légion d'Ambre.
Marius s'était appuyé contre l'arc en remerciant ses dieux, puis, d'un regard ému, il voyait venir ses chevaliers, son prince avec une nostalgie excitante. Il se demandait comment le prince réagirait quand il saurait qu'une autre légion leur avait rendu visite.

La dernière des guerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant