La première bataille : part 2

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Aménadiel avait posé un genou à terre lorsque ses jambes s'étaient mises à trembler.
Ils étaient maintenant au bas de la colline, où cessent les herbes basses, les pissenlits et les orchidées sauvages pour laisser s'élever d'abord les arbustes puis les arbres, de toute hauteur jusqu'aux immenses séquoias.

Ils allaient bientôt s'engager dans le sentier qui traversait le bois. C'est sur ce chemin que pouvait advenir une attaque de Praad qui se cachait derrière les arbres alors qu'eux se trouveraient à découverts. L'idée de construire un camp militaire dans les entrailles d'un bois remonte aux premiers jours de Zhür, au même instant qu'il fallait ériger la capitale. Attias avait décliné la proposition de ses conseillers d'assoir des plantations au profit d'un campement sur un lieu où tout était propice à la culture. Praad comme Inad-Ale jouissaient du rare privilège d'un temps et d'un climat idéals, là bas se rencontraient le vent chaud venant du Pays du Désert et le froid du Pays des Glaces qui se neutralisent pour créer une candeur climatique. Leur position centrale les éloignait également du courant marin froid qui asséchait Domyn comme du chaud qui abreuvait sans scrupule Orwin et Medès. Cette région était dans un équilibre presque miraculeux et ils en avaient fait une capitale et un camp militaire.

Aménadiel et Marius s'étaient installés dans le village d'Ored-Hans quelque part au fond de Kathane, une ville qui n'intéressait aucun prince même pour sa position frontière.
Habitués à voir défiler des troupes de différentes bannières, les villageois ne leur prêtaient aucune attention, ils se doutaient seulement que leur village devenait le médiateur d'évènements critiques. La légion d'Ambre s'était tout de même attardée chez eux, et pour cela ils se méfiaient plus d'elle que de toutes celles qu'ils avaient déjà vues. Même s'ils étaient sans défense et sans ressources précieuses, ils avaient encore l'orgueil qui refuse d'être conquis, et Marius le voyait dans leur regard.

Aménadiel savait quelque chose de la tension qui se dessinait à Ored-Hans, il voyait l'inquiétude de Marius qui comme lui ne connaissait que trop bien les dangers qu'il y a dans un peuple méfiant et en colère. C'est à cause de cela que chaque seconde qu'ils gaspillaient à attendre le moment ou la solution idéale pour rejoindre Kathane l'exaspérerait au plus au point. Qui pouvait savoir ce qu'il advenait de son ami pendant qu'ils stagnaient aux pieds d'une colline.

Avec Marius, ils avaient entrevues toutes les éventualités d'aller comme de retour pour qu'Aménadiel porte son message à Inad-Ale sans encombres, et Praad était vraisemblablement la seule solution qu'ils avaient trouvée. Par ce circuit il n'y avait ni cours d'eau à traverser et moins de villes à dépasser. De plus, Praad n'exécutait jamais sans l'autorisation d'Antar et ce dernier avait un immense respect pour les lois de la guerre, du moins, pour certaines. Il pouvait attaquer avant le début légal des guerres mais jamais ne s'en prenait à un messager. Il ne frappait que là où c'était nécessaire, et plus que tout aimait les belles victoires. Et il n'avait rien de beau à tuer Aménadiel alors qu'il était en une atroce infériorité numérique et qu'il venait porter un message.
Le prince avait beau se le répéter, rien n'y faisait. Il avait vu son frère pour la première fois depuis neuf ans mais quelque chose de plus profond que ses rides et son âge était advenu, et les dits qu'Antar n'avait pas quitté la capitale pendant la deuxième guerre appuyaient ses ressentiments. Antar faisait maintenant plus roi que général. Cette impression ne tenait ni de la démarche, ni du langage, ni même du trône qu'il occupait avec fierté, elle venait de quelque chose qu'Aménadiel n'arrivait pas à saisir. Et plus il y pensait et plus il s'engouffrait dans cette idée. Ce qui le tiraillait entre le plan de Marius et ses pressentiments.

L'honneur perçu par les généraux lors des guerres est assez différent de celui des rois. Les premiers veulent que la bataille leur soit associée et identifiée à travers les siècles et racontée comme une légende, ils veulent un exploit, car dans la guerre réside leur grandeur ; les rois quant à eux se contentent de la victoire quelle qu'elle soit remportée, les batailles épiques et extraordinaires sont un luxe qu'ils ne peuvent parfois s'offrir, leur grandeur est de conserver l'intégrité de leur territoire. Si Antar devait penser comme un général, comme Marius l'avait connu, traverser Praad serait sans péril, si sa couronne était devenue plus lourde que l'armure, Aménadiel et ses hommes périraient avant de quitter le sentier.

La dernière des guerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant