Marie-Lise Saint Orge resserra vivement sa fourrure contre elle et d'un air inquiet, balaya les rues désertes. Elle regrettait déjà le foyer douillet de Madame Correy. Cette dernière avait pourtant insisté pour lui faire venir en fiacre afin qu'elle puisse rentrer chez elle sans encombres. En femme polie et modeste, la jeune femme avait refusé, malgré le thé fumant et les petits fours encore tièdes. Elle faillit tomber en manquant la première marche de pierre. Elle se rattrapa de justesse, s'éraflant un peu la main sur les murs pierreux. Marie-Lise détestait la nuit et les environs de Bleunoie. Elle rampait presque les façades des maisons pour se rapprocher des lumières réconfortantes des flambeaux répartis sur le bord de la route. Le prochain flambeau semblait à des kilomètres du domicile de Madame Correy. Marie-Lise Saint Orge pressa le pas, se faisant mal aux pieds. Fichue mode qui l'avait poussé à acheter ces sandales hors de prix.
Une brise glacée se glissa entre les pans de son manteau et la fit frissonner. Elle pressa le pas et se retourna plusieurs fois. Elle ne savait pas pourquoi, mais quelqu'un l'épiait dans les angles sombres des maisons alentour. Le vent étendait ses tentacules de courants d'air glaciaux à travers les pans de la robe encombrante de Marie-Lise, la faisant accélérer le pas. D'étranges sons commencèrent à résonner au loin et se rapprochèrent d'elle comme un ennemi invisible. La jeune femme ne voyait rien. Elle tournait rapidement la tête pour percevoir celui qui lui voulait du mal. L'angoisse lui noua le ventre, elle trébucha et tomba dans la boue. Une main sur la poitrine, elle respirait tant bien que mal, étouffée par l'air qui lui brûlait les poumons. Reprenant ses esprits, elle courut aussi vite qu'elle le put en entendant les hurlements se rapprocher. On aurait dit des appels à l'aide d'une femme attaquée par une bête sauvage. Elle aurait dû rester au chaud. Malgré les réticences de son époux, elle avait refusé et elle s'était aventurée dans la nuit noire, insouciante et naïve.
Elle repéra un allié inespéré dans sa fuite : le clair de lune épargné d'une armée de nuages gris éclairait une partie du trajet pour atteindre son domicile. Elle crut le calvaire terminé. Soulagée, son cœur cogna plus lentement dans sa poitrine. Marie-Lise dépassa l'angle d'une belle demeure et se retrouva sur la petite place de Bleunoie. Devant elle, une silhouette voûtée dont les cheveux longs hirsutes pendouillaient autour d'elle. Pas plus rassurée que cela, Marie-Lise s'approcha doucement.
— Excusez-moi Madame, avez-vous besoin de mon aide ? Êtes-vous perdue ?
Les hurlements du vent lui répondirent en s'insérant un peu plus entre ses jupes et son corset. La peur au ventre, Marie-Lise s'avança, des mèches de cheveux dans la figure. Elle posa une main peu assurée sur l'épaule de la silhouette et la retira brusquement en sentant une surface dure sous les haillons. Un os. Elle releva les yeux et aperçut le visage dévoré par la maladie, plein de creux. A la place des yeux, de profonds orbites, pas de nez et des poignées de cheveux gris que le vent balayait devant cette face surnaturelle. Paralysée, Marie-Lise regarda cet être malade. Un bras dénué de peau brandit une poupée semblable à celles que l'on vend aux petites filles.
Incapable de fuir ni même de prononcer un mot, Marie-Lise fut traversée par une sorte de fascination malsaine. A chacune de ses séances, Madame Correy invitait des sorcières pour apprendre à éloigner les mauvais esprits. Le bras lui tendit l'objet. D'une main tremblante, la jeune femme s'en empara et resta à observer les faits et gestes de la sorcière. Une bourrasque de vent se faufila entre elles, la silhouette disparut aussitôt. Impressionnée par ce qui venait de lui arriver, Marie-Lise s'effondra sur le sol, les jambes tremblantes. Tenant toujours la poupée dans les mains, elle regarda les petits yeux bleus, la robe aux contours blancs et la longue chevelure jaune. Elle aimait ces êtres depuis enfant, ils savaient entendre chacune de ses plaintes. Sur la place, les bourrasques et les voix s'étaient dissipé pour laisser place au calme qui ne la rassura pas plus que cela.
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Le sang du bonheur
Mystery / ThrillerBleunoie. Un village anciennement célèbre pour son magnifique ciel bleu roi devient le théâtre de meurtres macabres. Le bras droit de Satan lui-même rôderait dans les rues, épierait les jeunes femmes et les assassinerait de manière effroyable. L'arr...